Joey Saputo, géant forestier discret, mais dans la mire de Québec

Arbec Bois d’œuvre fait partie d’une constellation d’entreprises forestières appartenant à Gestion Rémabec, un conglomérat forestier détenu à 50% par Produits forestiers Arbec, lequel appartient à une société de placement de Joey Saputo.
Graham Hughes Archives La Presse canadienne Arbec Bois d’œuvre fait partie d’une constellation d’entreprises forestières appartenant à Gestion Rémabec, un conglomérat forestier détenu à 50% par Produits forestiers Arbec, lequel appartient à une société de placement de Joey Saputo.

L’homme d’affaires montréalais Joey Saputo s’est discrètement imposé, au fil des ans, comme un incontournable de l’exploitation forestière au Québec. Il a acquis 50 % de l’entreprise Rémabec, « plus grand entrepreneur forestier privé » de la province. Arbec Bois d’œuvre — l’une des dizaines d’entreprises que Rémabec chapeaute — a été condamnée à payer l’amende la plus élevée imposée par le ministère de l’Environnement en cinq ans.

L’entreprise de La Tuque Arbec Bois d’œuvre a été reconnue coupable de cinq infractions à la Loi sur la qualité de l’environnement, de même qu’à deux infractions au Règlement sur la qualité de l’atmosphère. C’est ce qu’indique une récente condamnation du ministère québécois.

Que reproche-t-on à l’entreprise ? Trois essais réalisés en 2017 sur la chaudière à biomasse de son usine de La Tuque ont démontré qu’elle rejetait 266,8 milligrammes par mètre cube aux conditions de référence (mg/m3R), un niveau qui dépasse de 75 % la norme québécoise permise de 150 mg/m3R. Également, l’entreprise se voit reprocher par l’État d’avoir omis de procéder à l’échantillonnage des gaz émis dans l’atmosphère en 2016 et en 2017.

Si bien qu’Arbec a été condamné à payer, au cumul, l’amende la plus élevée imposée par le gouvernement du Québec au chapitre de l’environnement depuis près cinq ans, selon le registre du ministère de l’Environnement : elle doit payer une amende de 120 000 dollars, à laquelle s’ajoutent des frais de poursuite de 35 182 dollars.

Dans un courriel envoyé au Devoir, le vice-président de l’entreprise, Serge Mercier, explique le dépassement de la norme « par certains facteurs, dont la difficulté à maintenir une combustion constante dans la bouilloire, la variation dans la qualité des écorces et le mauvais fonctionnement de la bouilloire ». La situation a depuis été corrigée, assure-t-il.

L’entreprise de Joey Saputo avait écopé d’une autre amende en 2019. Cette fois, elle avait dû payer 31 000 dollars pour ne pas avoir enfoui des matières résiduelles à son usine de Port-Cartier, sur la Côte-Nord.

Saputo et l’industrie forestière

Arbec Bois d’œuvre fait partie d’une constellation d’entreprises forestières appartenant à Gestion Rémabec, un conglomérat forestier détenu à 50 % par Produits forestiers Arbec, lequel appartient à une société de placement de Joey Saputo. Le propriétaire du club de soccer CF Montréal est à la fois président de Rémabec et p.-d.g. de Produits forestiers Arbec.

Joey Saputo a refusé la demande d’entrevue du Devoir au sujet de ses intérêts dans le secteur forestier.

Sur son site Internet, Rémabec se présente comme « le plus grand entrepreneur forestier privé et l’un des plus importants scieurs au Québec ». Et en effet, le groupe détient 35 filiales et entreprises dans le secteur forestier, 11 usines, et embauche plus de 2000 personnes. Les récoltes annuelles de ce poids lourd de l’industrie atteignent plus de 3 millions de mètres cubes de bois, soit plus de 10 % de ce qui est récolté chaque année au Québec.

Selon les informations du Registraire des entreprises, les Saputo ont fait leur première incursion dans le secteur forestier en 2005. C’est la société de placements Jolina Capital de Lino Saputo — fondateur du géant de l’alimentaire Saputo — qui devient le premier actionnaire de Produits forestiers Arbec, une entreprise issue de la fusion d’actifs forestiers de l’entreprise Uniforêt, présente sur la Côte-Nord.

155 182
C’est le montant total que doit payer l’entreprise Arbec Bois d’oeuvre, ce qui inclut les amendes cumulées (120 000 dollars) et les frais de poursuite (35 182 dollars).

Toujours selon le registre, Produits forestiers Arbec voit Joey Saputo en devenir l’unique actionnaire via une société de placement en 2007. Depuis, l’entreprise a consolidé sa présence dans l’industrie forestière québécoise en faisant l’acquisition de scieries et d’usines de transformation.

Le groupe est entre autres choses copropriétaire de Bioénergie AE Côte-Nord, actuellement à l’abri de ses créanciers. Le Journal de Montréal rapportait jeudi que l’entreprise demandait au gouvernement du Québec 30 millions de dollars en crédits d’impôt et en aides financières pour soutenir la relance de l’usine, la création d’une filière et la reprise des activités de la scierie Arbec de Port-Cartier.

« Arbec est un des grands joueurs au Québec. En termes d’importance, il se retrouve derrière Produits Forestiers Résolu, qui est un peu plus gros », explique Vincent Miville, directeur général de la Fédération des producteurs forestiers.

Produits forestiers Arbec a essentiellement consolidé sa présence au cours de la crise forestière qui a ébranlé l’industrie pendant les années 2000 et après celle-ci, une période propice aux fusions et aux acquisitions. « Cette consolidation n’est pas exclusive à l’Amérique du Nord, mais on l’observe également en Amérique du Sud, en Europe et en Asie comme en Indonésie notamment », commente M. Miville.

La stratégie de Produits forestiers Arbec et de Rémabec diffère de celle des autres entreprises du secteur, poursuit Vincent Miville. Ces dernières favorisent, selon lui, « ce qu’on pourrait qualifier d’intégration verticale ». Elles détiennent des parts dans des sociétés qui évoluent dans un éventail de sous-secteurs : récolte, première et deuxième transformations, machinerie, transport, construction de routes forestières. Ce qu’elles font en « s’associant avec des entrepreneurs sur le terrain qui participent aux efforts de la compagnie ».

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