Sony mise sur Montréal pour déjouer Microsoft

Deux des fondateurs de Haven Studios, Jade Raymond et Pierre-François Sapinski
Photo: Adil Boukind Le Devoir Deux des fondateurs de Haven Studios, Jade Raymond et Pierre-François Sapinski

Bien des experts se demandent comment Sony répondra aux attaques répétées de Microsoft dans le jeu vidéo. Pour paraphraser le comte de Frontenac, disons que le créateur de la puissante PlayStation 5 répondra par la bouche de ses canons. Et l’un de ceux-là est l’un des secrets les mieux gardés de Montréal : Haven Studios, entreprise dirigée par une créatrice bien connue du secteur : Jade Raymond.

Jade Raymond, ses cinq cofondateurs et une vingtaine d’ex-employés de Google à Montréal ont fondé Haven Studios presque en catimini il y a un an dans la métropole québécoise. L’entreprise se targue « d’avoir la latitude d’un éditeur indépendant et les moyens d’un grand studio ». Son astuce : le principal bailleur de fonds de Haven est justement le groupe Sony. Le géant japonais a demandé à Mme Raymond et à son équipe de lui soumettre trois projets de jeux à grand déploiement, pour ensuite financer le développement de celui qui serait jugé le meilleur.

« Ils nous ont finalement demandé d’en faire deux, ou même trois, mais on a décidé de se concentrer sur un premier titre pour débuter », dit Jade Raymond, rencontrée en distanciel par Le Devoir aux côtés de Paola Jouyaux et de Pierre-François « Sapin » Sapinski, deux des cinq autres fondateurs de Haven Studios.

Tout ce qu’on sait sur ce nouveau jeu est qu’il s’agira d’un environnement en ligne persistant et évolutif accessible par un PC ou une console PlayStation, à la manière d’un autre populaire jeu en ligne montréalais, mais produit par Ubisoft celui-là, appelé Tom Clancy’s Rainbow Six: Siege. L’action promet d’être assez différente de ce jeu de tir à la première personne, étant donné la mission que se sont fixée les dirigeants de Haven Studios, qui est de faire la promotion de l’inclusion et de la bienveillance.

« Ces environnements ne sont pas seulement des jeux, ce sont aussi des plateformes sociales pour de nombreux joueurs, dit Paola Jouyaux. Il faut que ça le demeure. Pour durer, un jeu doit demeurer plaisant à visiter. »

« Nous n’accepterons pas les imbéciles », lance à la blague Pierre-François Sapinski. Par contre, Haven Studios accueille les programmeurs d’expérience à bras ouverts. L’entreprise a triplé de taille depuis l’annonce de sa création en mars 2021 et continuera d’embaucher au cours des prochains mois.

Les secrets de la PS5

 

Ces derniers mois, Microsoft a donné le ton dans l’industrie vidéoludique en procédant à plusieurs acquisitions stratégiques. Son but : étendre le plus rapidement possible le catalogue de contenu exclusif sur console, sur PC ou sur son service en ligne par abonnement.

Nous aurons la possibilité de travailler avec des gens chez Sony qui sont parmi les meilleurs au monde dans leur domaine. Cela va nous permettre de créer des jeux de la meilleure qualité.

De nombreux analystes espèrent une riposte de Sony. Celle-ci pourrait se manifester différemment de ce que prévoient ceux qui pensent que la multinationale japonaise va se lancer à son tour dans une série d’acquisitions. Sony pourrait préférer démontrer la supériorité technique de sa propre plateforme, incarnée par la console PlayStation 5, un appareil qui se distingue par des prouesses techniques uniques dans le marché du jeu vidéo.

Haven Studios est au cœur de cette stratégie. L’éditeur montréalais devrait confirmer prochainement une collaboration avec le principal architecte de la PS5, le designer californien Mark Cerny. L’objectif est de faire profiter les programmeurs de Haven de son expertise pour mieux exploiter la mécanique qui ronronne sous le capot de la PS5.

« Notre ambition sera de pousser plus loin les capacités techniques de la console », explique Jade Raymond, qui a elle-même commencé sa carrière dans le jeu vidéo chez Sony. « Nous aurons la possibilité de travailler avec des gens chez Sony qui sont parmi les meilleurs au monde dans leur domaine. Cela va nous permettre de créer des jeux de la meilleure qualité », ajoute Paola Jouyaux.

Le pouvoir aux programmeurs

 

Dans l’industrie montréalaise, les attentes sont élevées envers Haven Studios. Ses dirigeants ont tous une expérience passée dans le secteur. Jade Raymond n’aime pas se le faire dire, mais elle a acquis au fil des années un rayonnement que peu de dirigeants québécois possèdent dans cette industrie très mondialisée. Pourtant, ses plus récentes entreprises n’ont pas toutes été couronnées de succès.

La dernière en date est la mise sur pied à Montréal, pour le compte de Google, d’un studio qui devait alimenter son service de jeux vidéo à la demande Stadia. Google avait acquis en 2019 l’éditeur montréalais Typhoon pour faciliter les choses. Le studio Stadia a été fermé en février 2021 sans avoir jamais réussi à produire un seul titre.

Google n’a pas la réputation d’être très habile à se lancer dans de nouveaux projets. Bien des critiques soulignent que l’argent seul ne peut pas acheter le succès à tous les coups, une leçon que le géant de Mountain View en Californie tarde à retenir malgré ses insuccès répétés dans le jeu vidéo, en réalité virtuelle, sur les réseaux sociaux et ailleurs.

Mme Raymond dit avoir appris de son séjour chez Google. Elle rêve d’un studio indépendant de grande taille, mais n’écarte pas l’idée d’en limiter la croissance si la situation l’exige. « On a une vision ambitieuse, mais nous allons nous adapter », dit-elle. La consolidation qui semble avoir cours actuellement dans l’industrie pourrait présenter des occasions de croissance intéressantes pour une entreprise indépendante financièrement à l’aise. « Mais c’est le contenu qui est le plus important. Nous souhaitons demeurer concentrés sur l’expérience de jeu et sur les raisons qui attirent les joueurs. »

Ses employés auront aussi de bonnes raisons de vouloir demeurer chez Haven puisque les conditions d’embauche comprennent systématiquement des parts dans l’entreprise. Cette approche est populaire dans les jeunes entreprises technologiques pour attirer le talent. « Tout le monde est un propriétaire et peut participer dans l’avenir de Haven », conclut Jade Raymond.

Sans oublier Sony…

À voir en vidéo