Une coalition d’organismes propose une façon d’aller au-delà du PIB au Québec

Le Québec a progressé, en matière de revenu par habitant, de productivité ou encore de création de nouvelles entreprises, mais la diplomation stagne et l’investissement en recherche et développement recule.
Valérian Mazataud Le Devoir Le Québec a progressé, en matière de revenu par habitant, de productivité ou encore de création de nouvelles entreprises, mais la diplomation stagne et l’investissement en recherche et développement recule.

Une vingtaine d’organisations patronales, syndicales, environnementales, sociales et philanthropiques ont convenud’une cinquantaine d’indicateurs à utiliser pour dépasser le seul produit intérieur brut (PIB) comme mesure du progrès et du bien-être au Québec.

Oui, le PIB et la création d’emplois sont des outils de mesures économiques utiles, a observé en entrevue virtuelle au Devoir, la semaine dernière, l’économiste de l’Université de Sherbrooke François Delorme, « mais tout le monde conviendra que le bien-être ne se résume pas à cela. Et si les principaux outils de mesure auxquels on se réfère sont trop étroits, cela veut dire que nos politiques risquent aussi de refléter une vision trop étroite ».

À l’instar d’autres experts, l’économiste s’est joint à une vingtaine d’organisations issues de la société civile pour qu’ils conçoivent ensemble un « tableau de bord », qu’ils ont dévoilé mardi et dont les 51 indicateurs doivent brosser un portrait plus complet de la réalité québécoise en matière notamment économique, environnementale et sociale. Regroupées au sein du collectif G15+, les organisations en question sont aussi diverses que le Conseil du patronat du Québec, Équiterre, Fondaction, le Chantier de l’économie sociale, l’Institut du Québec et la Fondation du Grand Montréal.

Cette quête pour des mesures moins étriquées du progrès des sociétés s’est vue un peu partout dans le monde ces dernières années, convient la directricegénérale du Chantier de l’économie sociale, Béatrice Alain. « Ce qui fait la valeur ajoutée de notre démarche, c’est qu’elle ne se limite pas à un exercice théorique, mais qu’elle a suscité l’adhésion d’organismes aux horizons aussi divers, qui représentent de grands pans de la société québécoise et qui en appellent maintenant à ce que les gouvernements, notamment, tiennent compte de ces indicateurs. » De plus, dit-elle, sur la multitude d’indicateurs possibles, on a parfois cherché à privilégier ceux qui pourraient être d’un plus grand intérêt au Québec, comme en culture, en entrepreneuriat social ou en logement.

Tableau de bord plus complet

 

La cinquantaine d’indicateurs finalement retenus couvre trois grands thèmes. Du côté économique, on y retrouve, par exemple, le PIB par habitant, la productivité et la qualité des emplois. En matière sociale, on couvre, entre autres, les inégalités de revenus, le logement et le poids de la culture dans l’économie. Sur le front environnemental, il est question, bien sûr, d’émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de consommation d’eau potable, du nombre d’espèces menacées et du nombre de véhicules en circulation.

Toutes ces données viennent de sources crédibles (comme l’Institut de la statistique du Québec), sont produites régulièrement (ce qui permet d’en observer l’évolution dans le temps) et sont répandues dans le monde (rendant possibles des comparaisons avec d’autres sociétés), se félicitent les auteurs. Dans leurs premières versions, elles ne portent que sur les cinq années qui ont précédé la pandémie de COVID-19, mais on compte bien continuer de les mettre à jour, ainsi que les faire remonter plus loin dans le temps et de commencer à les comparer à l’Ontario et à la moyenne canadienne.

Ce qui fait la valeur ajoutée de notre démarche, c’est qu’elle ne se limite pas à un exercice théorique, mais qu’elle a suscité l’adhésion d’organismes aux horizons aussi divers, qui représentent de grands pans de la société québécoise et qui en appellent maintenant à ce que les gouvernements, notamment, tiennent compte de ces indicateurs

 

Ce qu’on y voit déjà, c’est que le Québec a progressé en matière de revenu par habitant, de productivité ou encore de création de nouvelles entreprises, mais que la diplomation stagne et que l’investissement en recherche et développement recule. D’un autre côté, si les écarts de richesse et la pauvreté ont diminué, la situation s’est dégradée en ce qui a trait à l’accès au logement et à la santé mentale. Le portrait environnemental est aussi « en demi-teinte » en plus d’être plein de trous à cause du manque d’indicateurs.

Lucidité et courage politique

 

L’exercice du G15+ conduit logiquement à un appel lancé aux gouvernements pour qu’ils s’assurent que leurs agences de statistiques produisent les données encore manquantes. « Prenez juste l’exemple de l’adaptation aux changements climatiques, dit la p.-d.g. de Fondaction, Geneviève Morin. Ça n’a pas de bon sens qu’on n’ait pas encore, au Québec, tous les outils nécessaires pour mesurer notre degré d’avancement. »

Mais on voudrait, aussi et surtout, que les gouvernements basent leurs politiques et leurs actions sur des assises plus larges, comme ont commencé à le faire la Nouvelle-Zélande ou encore l’Écosse et comme semble l’envisager le ministère des Finances du Canada. « Ça ne doit pas rester un exercice académique. Il faut que ce portrait d’ensemble plus large et plus complet soit incorporé dans les arbitrages que font les gouvernements, que cela devienne leur pain quotidien », souhaite François Delorme, qui a lui-même longtemps travaillé dans la fonction publique fédérale et qui sait le poids que peut avoir l’introduction de nouveaux indicateurs lorsqu’ils s’accompagnent de cibles et deviennent des critères d’évaluation de performance. « C’est une question de lucidité et de courage politique. »

Prenez juste l’exemple de l’adaptation aux changements climatiques. Ça n’a pas de bon sens qu’on n’ait pas encore, au Québec, tous les outils nécessaires pour mesurer notre degré d’avancement.

 

Le moment ne pourrait pas être mieux choisi, estime Geneviève Morin. « Il y a quand même une sortie de pandémie à organiser, et une transformation de la société et de son économie qui est à faire. On va faire croître le PIB tout autant en augmentant la production de pétrole qu’en augmentant la production d’énergie renouvelable, mais c’est clair qu’on ne serait pas en train de faire la même chose. En outre, si on veut être en mesure de mener à bien cette transformation économique là, il faut élargir l’éventail de ce qu’on regarde comme données pour pouvoir agir ensuite sur plus qu’un seul facteur. »

 

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