Inégaux devant la pandémie

Sommes-nous tous dans le même bateau au milieu de cette tempête pandémique ? Pas du tout, selon le dernier rapport d’Oxfam, qui démontre que les inégalités n’ont jamais été aussi criantes.
« La pandémie a ouvert les yeux de beaucoup de gens », observe Catherine Caron, analyste des politiques pour Oxfam-Québec. « Quand on nous dit que c’est une crise collective qu’on vit, ce n’est pas vrai. Une majorité de gens sont pris dans la pauvreté et subissent les contrecoups de cette crise sanitaire, tandis qu’il y a une minorité qui en profite et s’enrichit. »
L’organisme qu’elle représente publie ce lundi un rapport accablant sur l’appauvrissement du monde depuis mars 2020. Le document d’une soixantaine de pages est titré Les inégalités tuent et cite plus de 300 études.
« Il ne faut pas voir la crise sanitaire comme un problème de santé à part. C’est vraiment venu exacerber les inégalités préexistantes », soutient Catherine Caron.
Aux États-Unis, les personnes autochtones, latino-américaines et afro-américaines « sont deux à trois fois plus susceptibles de mourir de la COVID-19 que les personnes blanches », énonce le rapport, qui précise que leur espérance de vie « s’est effondrée ». Les populations afro-américaines et latino-américaines aux États-Unis ont respectivement connu une baisse de 2,9 ans et de 3 ans de leur espérance de vie, contre 1,2 an pour la communauté blanche.
Ce recul s’observe par ailleurs au Québec. L’espérance de vie à la naissance s’est établie en 2020 à 80,6 ans chez les hommes et à 84 ans chez les femmes. Cela représente des baisses respectives de 5 mois et de 8 mois par rapport à l’espérance de vie de 2019.
Les femmes portent sur elles le plus gros du fardeau des problèmes sociaux en ce moment, poursuit Catherine Caron. « Ce sont elles qui absorbent le plus grand choc », la pandémie ayant fait reculer « de plus d’une génération l’horizon pour atteindre la parité ». Autrement dit, l’horizon temporel où l’égalité entre les hommes et les femmes doit être atteinte est ainsi passé de 99,5 à 135,6 ans.
Oxfam dresse également un bilan provisoire très sombre en ce qui a trait à la pauvreté. Pas moins de 163 millions de personnes supplémentaires vivent avec moins de 5,50 $ par jour depuis le début de la pandémie, indique-t-on.
« La COVID-19 nous fait reculer sur plusieurs indicateurs sociaux. Elle est en train de nous faire perdre une décennie de progrès », résume Catherine Caron.
Le grand écart
Le plus « choquant » du document d’information, selon l’analyste des politiques pour Oxfam-Québec, se trouve dans le profit que les plus riches ont pu dégager durant la pandémie. En substance, la fortune des dix hommes les plus riches au monde a doublé depuis mars 2020. « Il s’agit de la plus forte hausse de la fortune des milliardaires depuis que ces données sont recensées », note le rapport, qui utilise des données de la plateforme Wealth-X. Au Canada, la richesse des milliardaires a augmenté de 57 % depuis deux ans, précise Catherine Caron.
Il n’y a pas que les membres du fameux « 1 % » qui ont déjà financièrement surmonté la crise. « Selon la Banque mondiale, les revenus des 20 % les plus riches devraient s’être rétablis […], alors que les deux déciles les plus pauvres sont susceptibles de perdre encore 5 % de leur revenu en 2021 », souligne Oxfam.
L’organisme plaide ainsi pour un plus gros taux d’imposition envers les mieux nantis. « Près de 8 Canadiens sur 10 sont en faveur de la taxation de la richesse pour lutter contre les inégalités et financer la relance post-pandémie », indique Catherine Caron, citant un sondage de novembre 2020. « C’est un constat qui traverse les bannières politiques et les régions. C’est intéressant comme changement. […] Le Fonds monétaire international [FMI] le dit. L’OCDE le dit. Les riches eux-mêmes le disent. [Près de 200 millénariaux fortunés regroupés dans] l’association Ressources en mouvement le disent. On n’a jamais eu un appui populaire et politique aussi grand. »
La taxe sur les produits de luxe du dernier budget Freeland « est un très bon premier pas », admet la représentante d’Oxfam. « Mais on peut taxer bien plus que des yachts et des jets. »
« Si on faisait une seule taxe ponctuelle sur les dix hommes les plus riches au monde, on pourrait payer les vaccins pour toute la planète, s’attaquer à la violence basée sur le genre dans 80 pays, financer l’adaptation climatique et payer les soins de santé et des mesures de protection sociales à travers le monde. Et si on taxait ces dix personnes, elles auraient encore 8 milliards de plus qu’elles n’en avaient avant la pandémie », avance l’analyste.
Pour l’instant, la trajectoire des budgets nationaux va plutôt dans la direction inverse. Les informations dont dispose Oxfam indiquent que les prêts COVID-19 accordés par le FMI pour aider à amortir la crise « pousseront 73 pays vers l’austérité » une fois la pandémie traversée.
L’organisation internationale prévient qu’une colère bouillonne sous ces inégalités croissantes. « Le nombre de mouvements de protestation a triplé en 15 ans, et ce, à l’échelle mondiale. Dans toutes les régions, ces chiffres sont en augmentation. »