Le marché de seconde main au premier plan

Candice Bouchez est la fondatrice et la directrice de la plateforme de revente de vêtements Bon magasinage.
Jacques Nadeau Le Devoir Candice Bouchez est la fondatrice et la directrice de la plateforme de revente de vêtements Bon magasinage.

Acheter usagé n’a jamais été aussi prisé. Que ce soit pour des raisons environnementales, économiser de l’argent ou encore dénicher des objets uniques, le magasinage de seconde main fait de plus en plus d’adeptes. Rien que dans le secteur des vêtements, la taille de ce marché pourrait doubler d’ici 2025. Portrait de la situation.

En mai 2021, la populaire plateforme en ligne européenne de la revente de vêtements d’occasion entre particuliers Vinted débarquait au Canada. Depuis longtemps, les Canadiens échangent des biens dans des friperies, dans des ventes de garage, sur Kijiji, dans des groupes d’échanges sur les réseaux sociaux, ou plus récemment sur Facebook Marketplace, mais l’offre grandit pour répondre à une demande croissante, particulièrement dans le secteur de la mode.

Selon un rapport de ThredUP, une plateforme en ligne de revente de vêtements d’occasion, le marché américain de la seconde main devrait atteindre 77 milliards de dollars américains d’ici 2025, alors qu’il était d’environ 36 milliards de dollars en 2021. D’après leurs estimations, la taille de ce marché pourrait même atteindre le double de celle de la fast fashion d’ici 2030.

Grâce à l’économie circulaire, la durée de vie de nos biens ne s’arrête plus au moment où ils ne nous plaisent plus. Dans bien des cas, ils conservent de leur valeur et peuvent se retrouver entre les mains d’autres usagers, ravis de les obtenir à moindre coût. Si en 2016, une majorité de consommateurs (55 %) n’étaient toujours pas désireux de consommer des produits d’occasion, en 2020, ils n’étaient plus qu’une minorité (14 %) — la grande majorité (86 %) déclarant avoir déjà consommé d’occasion ou se montrant ouverts à le faire, selon le rapport de ThredUP.

Plusieurs entreprises ont d’ailleurs flairé la bonne affaire, ou plutôt l’urgence de ne pas rater le coche si leurs consommateurs se mettent à préférer l’usagé au neuf. Selon ThredUP, l’adoption de la revente par les détaillants devrait s’accélérer dans les prochaines années, 60 % d’entre eux offrant déjà ce service ou étant ouverts à le faire.

Certaines entreprises revendent déjà elles-mêmes leurs produits (Décathlon ou Ikea), d’autres collaborent avec les plateformes de revente (la marque de luxe Burberry avec TheRealReal) ou investissent dedans (H&M est l’actionnaire majoritaire de Sellpy). Mais dans certains cas, elles sont beaucoup plus réticentes : comme c’est le cas pour Chanel, en conflit judiciaire avec le magasin What Goes Around Comes Around et avec TheRealReal.

Un boom ici aussi

 

Au Québec, la fondatrice et directrice de la plateforme de revente de vêtements Bon magasinage a été témoin de l’engouement prononcé pour ce phénomène dans les dernières années.

« En ce moment, on compte près de 40 000 utilisateurs sur notre plateforme. Mais quand on a lancé le site il y a environ deux ans et demi, notre communauté était de 2000 personnes. Donc ça a quand même beaucoup grandi », témoigne Candice Bouchez.

« Au début, c’était très concentré à Montréal. Maintenant, notre plateforme est disponible partout au Canada. Chaque mois, ce sont à peu près 2500 personnes qui nous rejoignent. Et ce n’est que grâce au bouche à oreille. On n’a même pas encore commencé le marketing et les publicités », confie-t-elle.

Au Canada, selon l’Indice Kijiji 2019 portant sur les tendances de l’économie de seconde main, les catégories de produits d’occasion les plus consommés restaient de loin celle des vêtements, des chaussures et des accessoires (29 %), suivie des biens de divertissement (13 %), des articles pour bébés (8 %), des jeux et jouets (8 %), des meubles (5 %) ou encore des objets et décorations pour la maison (4 %).

Magasiner « écolo et écono »

Le boom du marché d’occasion est principalement guidé par les jeunes de la génération Z et les millénariaux, désireux de faire des économies tout en étant plus responsables dans leurs choix de consommation.

Frédérike Clermont, étudiante à l’Université du Québec à Rimouski, ne jure d’ailleurs que par le seconde main. Sa dernière trouvaille : un robot mélangeur Magic Bullet pour seulement 6 $, alors qu’il se vend à près de 50 $ dans le commerce.

« Quand je magasine des objets de seconde main, c’est souvent pour faire des économies », explique-t-elle. « Mais quand j’achète des vêtements d’occasion, je le fais surtout parce que je ne veux pas acheter de la fast fashion. Je le fais pour des raisons environnementales. Des fois, je pourrais m’acheter des vêtements neufs pour le même prix, sauf que je préfère ne pas le faire. »

L’industrie de la mode est en effet une des plus polluantes, et de loin. Selon la Banque mondiale, le secteur est responsable d’environ 10 % des émissions annuelles de carbone dans le monde, soit plus que ce que produisent l’ensemble des vols internationaux et le transport maritime. À ce rythme, les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie de la mode pourraient grimper de plus de 50 % d’ici 2030.

« La consommation de seconde main, ça apprend à être plus patient, moins impulsif dans nos achats », estime Candice Bouchez, de Bon magasinage. « Mon souhait, c’est qu’on prenne collectivement conscience d’agir pour le climat, et ça passe par les choix qu’on fait dans notre penderie », ajoute-t-elle. 

Frédérike Clermont voit toutefois aussi des revers à l’engouement pour la seconde main, qu’elle prise tant. « Certains profitent de la popularité des vêtements vintage pour les revendre vraiment plus cher. On voit une sorte de “gentrification” des friperies. Ça fait en sorte que les options sont encore plus limitées pour les personnes à faible revenu », déplore-t-elle.

« Je vois tout de même ça d’un œil positif que les gens s’intéressent de plus en plus au seconde main et soient davantage conscientisés aux effets néfastes de la fast fashion. Mais malheureusement, il y a des gens qui en profitent, comme dans tout », souligne Mme Clermont.
 



Une version précédente de ce texte indiquait que le marché de la seconde main avait atteint environ 31 milliards de dollars en 2021. Il fallait plutôt lire 36 milliards de dollars.

 

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