Des géants du Web financent la guerre citoyenne contre C-11 et C-10

Dans le cadre du projet de loi C-11, «plus de 12 000 messages» ont été envoyés en un an aux députés fédéraux par des membres de la communauté OpenMedia.
Photo: Marharyta Marko Getty Images Dans le cadre du projet de loi C-11, «plus de 12 000 messages» ont été envoyés en un an aux députés fédéraux par des membres de la communauté OpenMedia.

Google, TekSavvy, Twitter et d’autres entreprises du numérique ont activement financé dans les dernières années un organisme qui chapeaute des campagnes de mobilisation citoyenne contre des projets de loi visant à resserrer l’encadrement d’Internet et des télécommunications au Canada.

Peu connu au Québec, l’organisme à but non lucratif OpenMedia mène depuis plus de dix ans des campagnes aussi bien pour promouvoir la neutralité du Web que pour modifier le projet C-11, qui vise à encadrer l’utilisation des renseignements personnels, ou empêcher l’aboutissement du projet de loi C-10, qui vise à réformer la Loi sur la radiodiffusion.

De son site Internet, il est possible de signer des pétitions ou d’acheminer directement des courriels prérédigés à un député à partir d’un code postal. Pour certaines campagnes, OpenMedia utilise un outil de transfert téléphonique pour joindre directement les bureaux des décideurs. Et sa force de frappe est réelle.

Dans le cadre du projet de loi C-11, « plus de 12 000 messages » ont été envoyés en un an aux députés fédéraux par des membres de la communauté OpenMedia. Plus de 40 000 personnes ont signé la pétition en ligne qui, selon ses termes, dénonce « le désastre » du projet de loi C-10 visant à réformer la Loi sur la radiodiffusion.

Or, l’organisation — dont le président du conseil d’administration est un dirigeant de Shopify, Dylan Blanchard — a reçu l’appui financier ces dernières années d’entreprises privées mobilisées contre des projets de loi gouvernementaux. Quoique difficiles à estimer avec précision, ces dons ont totalisé des centaines de milliers de dollars au cours des six dernières années.

À elle seule, TekSavvy a donné au moins 100 000 $ à l’organisme. Depuis 2015, l’entreprise de télécommunications — qui s’oppose au projet de loi C-10 — fait partie des membres « Platinium » qui donnent annuellement plus de 20 000 $ à OpenMedia.

Twitter fait pour sa part partie des bailleurs de fonds « Or », dont les dons annuels oscillent entre 10 000 $ et 20 000 $, alors que Google a fait partie des donateurs « Platinium » entre août 2016 et janvier 2020. Les deux géants américains sont actuellement inscrits au Registre des lobbyistes du Canada pour des démarches liées aux projets de loi C-11 et C-10.

« Indépendance éditoriale »

OpenMedia se défend de représenter leurs intérêts. « Nous maintenons une politique stricte d’indépendance éditoriale avec tous nos principaux donateurs. Nous apprécions leur soutien lorsque nous sommes [sur la même longueur d’onde sur des dossiers] et lorsqu’ils veulent soutenir ce que nous faisons », a répondu par courriel Matthew Hatfield, directeur de campagne chez OpenMedia.

L’organisation exige qu’un minimum de 50 % de son budget de fonctionnement provienne de sa base militante, explique-t-il. « Au cours de notre dernier exercice, plus de 70 % de notre financement a été fourni par des membres individuels de la communauté de base. »

Au sujet de Google plus spécifiquement, Matthew Hatfield note que la multinationale n’a pas fait de dons depuis quelques années déjà. Toutefois, « par souci de transparence », il ajoute que l’entreprise « s’est engagée à contribuer de nouveau cette année. Cependant, nous n’avons pas encore reçu de fonds ».

Contacté par Le Devoir, Google confirme soutenir depuis longtemps OpenMedia. « Nous sommes fiers de nous engager auprès d’organisations du monde entier qui contribuent à faire d’Internet un moteur d’innovation et d’opportunités économiques », a répondu dans un bref courriel au nom de Google Zaitoon Murji, directrice des communications chez YouTube.

Avocat spécialisé en propriété intellectuelle et en technologie, Richard C. Owen est très critique à l’égard du financement d’OpenMedia. Il y perçoit une forme de lobbyisme indirect qui s’articule autour d’une organisation qui dit représenter les intérêts des Canadiens.

En agissant de la sorte, une multinationale comme Google, par exemple, « utilise sa vaste richesse pour saper les protections du droit d’auteur par le biais d’initiatives politiques, de lobbying et de relations publiques. Elle recrute très, très largement des alliés parmi les ONG », selon lui.

« Ça biaise les débats qui entourent le droit de la propriété intellectuelle et la réglementation d’Internet », d’autant plus que ces activités se juxtaposent au lobbyisme officiel de ces entreprises, précise-t-il.

En juillet dernier, Le Devoir avait comptabilisé les activités de lobbyisme des géants du numérique auprès du gouvernement fédéral dans le cadre des projets de loi C-10 et C-11. Avec cinq lobbyistes actifs, Google avait déclaré 56 communications entre juillet 2020 et juillet 2021. La majorité des communications portaient sur des questions relatives à la radiodiffusion, à la fiscalité et à la propriété intellectuelle.

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