Le marketing alimentaire, une histoire d’amour toute québécoise

Qu’ont en commun Justin Bieber et Laurent Duvernay-Tardif ? Ce sont les stars incontestées de la pub alimentaire canadienne et québécoise cet automne. Il faut dire que, pour les grandes marques du secteur, s’associer à une personnalité n’a jamais autant eu la cote que ces jours-ci. Les réseaux sociaux décuplent la portée de leurs campagnes. Ils rendent aussi ce pari très risqué. Cette semaine, Le Devoir fait un survol du phénomène. Dernier texte de la série.
Laurent Duvernay-Tardif et les enfants qui lui disputent le rôle de porte-parole du lait ces jours-ci sont loin d’avoir été les premiers à représenter les Producteurs de lait à la télé québécoise : Dominique Michel, Normand Brathwaite, le commandant Piché… et même Georges St-Pierre se sont aussi prêtés au jeu. Parce que le Québec possède un star-système qui lui est propre, miser sur des personnalités bien de chez nous a toujours été très payant pour les grandes marques alimentaires.
« Le public québécois aime ses vedettes, confirme la directrice du marketing des Producteurs de lait du Québec, Julie Gélinas. Malgré les réseaux sociaux et les influenceurs, la télévision demeure un média important. Le vedettariat québécois demeure très attachant. Ç’a toujours justifié un investissement en conséquence. »
Dans un secteur très internationalisé, sinon carrément mondial, le marché québécois de la publicité a su au fil des décennies s’imposer auprès des grandes multinationales comme le village gaulois qu’il est dans bien d’autres créneaux liés de près ou de loin à la culture, ajoute Luc Dupont, professeur en communication de l’Université d’Ottawa.
« Le cas de McDonald’s est éloquent : la multinationale a accepté [au début des années 2000] d’adapter son message qui était le même partout sur la planète aux spécificités québécoises, dit-il. Pepsi a fait la même chose avec Claude Meunier. Ç’a mené ces entreprises à davantage adapter leurs messages selon les marchés et à cibler des audiences plus segmentées. »
À qui profite la pub ?
Naturellement, les annonceurs prennent le temps de choisir avec soin celui ou celle qui sera leur visage publicitaire au fil d’une campagne qui peut durer seulement quelques semaines ou qui peut s’étirer sur des années. Mais l’inverse est aussi vrai : bien des athlètes ou des artistes ont vu leur carrière profiter de cette grande vitrine qui leur était offerte par des publicités qui sont jouées et rejouées, parfois jusqu’à plus soif.
« Une publicité de 30 secondes qui tourne sans arrêt à la télé et sur Internet en plus, tu seras dans la tête des gens souvent, constate le spécialiste montréalais Gary Arpin, du cabinet National. Si tu as un nouvel album ou un nouveau produit culturel à lancer, ça va faire en sorte que tu risques d’en vendre un peu plus. Ça peut aider à augmenter ta notoriété. »
La popularité gonflée par la pub est évidemment un phénomène vieux comme le monde… des médias. Il est exacerbé ces jours-ci par l’émergence des influenceurs et du marketing de contenu, où les personnalités bien en vue sur Instagram ou TikTok sont surtout connues parce qu’elles sont… connues. Un annonceur qui investit pour les faire voir davantage va attirer les plus m’as-tu-vu de ces influenceurs, cela va de soi.
Mais pour assurer la popularité d’un message auprès d’un public le plus large possible, rien ne vaut une personnalité connue pour autre chose que son compte Instagram, confirment les experts. L’histoire publicitaire québécoise renforce cette impression.
La petite histoire de la pub alimentaire d’ici est éloquente à ce sujet. La preuve, en six temps.
Patrick Roy, Mario Tremblayet Uber Eats
L’ancien gardien du Canadien et celui qui aura été son dernier entraîneur-chef avec la Sainte-Flanelle ont bouclé, grâce à Uber Eats, la boucle d’une controverse qui aura fait jaser les fanatiques du Tricolore pendant 25 ans. Tout un coup de pub pour le service américain de livraison pour restaurants compte tenu du fait que tant Patrick Roy que Mario Tremblay refusaient jusque-là de commenter publiquement le match du 2 décembre 1995 durant lequel Roy a quitté la glace en furie après avoir accordé neuf buts, sous le regard désapprobateur de Tremblay. Le résultat aura été une campagne publicitaire lourde de sous-entendus qui a certainement quelque chose de cathartique pour les amateurs de hockey montréalais.
Claude Meunier et Pepsi
Partout ailleurs dans le monde, Madonna succédait à Michael Jackson en tant que porte-parole de Pepsi. Une après l’autre, les deux superstars de la pop provoquaient leur propre petit scandale respectif qui aura mis fin abruptement à leur relation avec le fabricant de boissons gazeuses. Pendant ce temps, au Québec, l’humoriste Claude Meunier faisait bien rigoler les Québécois, entre autres grâce à son personnage de joueur de hockey qui avait littéralement la rondelle « confiturée » à son « gouret », aux côtés d’un Lionel « Linel » Duval sans mots.
Yves Corbeil et la margarine Fleischmann’s
Le comédien Yves Corbeil aura marché bien plus « d’un mille dans ses [propres] souliers » grâce à cette campagne publicitaire qui a sans doute été le précurseur d’une tendance aujourd’hui très forte sur les réseaux sociaux : citer sans raison apparente les paroles très profondes d’un vieux sage à peu près inconnu du public. Et parce qu’à la fin des années 1990, les vidéos virales n’existaient pas, ce sera au groupe satirique Rock et Belles Oreilles de revisiter cette pub, et au moins deux autres publicités de margarine de l’époque, dont celle sur sa couleur « varte avec des motons de moisi dedans » qui ne la distinguait pas très avantageusement du beurre.
Guy Lafleur et le yogourt Yoplait
Bien avant que McDonald’s ne mette le grappin sur les joueurs étoiles du Canadien, et même un peu avant que Mario Tremblay ne se lance lui-même dans une longue et prolifique carrière de porte-parole publicitaire en commençant par l’eau minérale Montclair, il y a eu le Démon blond en personne. Il y a une quarantaine d’années, Guy Lafleur est devenu, l’espace de quelques publicités, le visage des yogourts Yoplait, en affirmant : « Déguster Yoplait, c’est savoir se bien nourrir. » Évidemment, pour une personnalité sportive, faire de la pub, c’est savoir se bien préparer une après-carrière…
La famille Simardet Laura Secord
Qu’est-ce qui fait donc chanter la famille Simard ? Une question à laquelle ils ont répondu dans six publicités d’anthologie remontant aux années 1970. On soupçonne tout de même que Nathalie et René Simard auront eu recours à pas mal plus que du pouding Laura Secord pour prolonger leur carrière musicale jusque dans le nouveau millénaire. Aujourd’hui, Nathalie Simard est animatrice à la radio et a lancé le printemps dernier un magazine axé sur le bien-être appelé Simplement bien avec Nathalie.
Olivier Guimondet la Labatt 50
En 1985, Maurice « Mad Dog » Vachon préférait la Labatt légère, car « elle descendait bien ». Mais bien avant ça, à la fin des années 1960, le grand-père de tous les humoristes québécois, Olivier Guimond, n’avait même pas besoin de faire de publicité pour les brasseurs Labatt pour faire augmenter ses ventes. Guimond se présente comme un des premiers antihéros de la publicité. Il faut dire que « lui, il connaît ça », comme il l’a ensuite souvent répété. Depuis, et malgré l’émergence des réseaux sociaux et des influenceurs, la publicité québécoise demeure, grâce à un univers culturel bien distinct, un phénomène unique en son genre. Pour paraphraser « Mad Dog » Vachon : pas besoin d’un dictionnaire pour comprendre ça.