Quand le gâteau se dégonfle

À Montréal, l’association sportive la plus prestigieuse est sans conteste celle qui peut être conclue entre une marque et un joueur des Canadiens de Montréal.
Photo: Aless MC À Montréal, l’association sportive la plus prestigieuse est sans conteste celle qui peut être conclue entre une marque et un joueur des Canadiens de Montréal.

Qu’ont en commun Justin Bieber et Laurent Duvernay-Tardif ? Ce sont les stars incontestées de la pub alimentaire canadienne et québécoise cet automne. Il faut dire que, pour les grandes marques du secteur, s’associer à une personnalité n’a jamais autant eu la cote que ces jours-ci. Les réseaux sociaux décuplent la portée de leurs campagnes. Ils rendent aussi ce pari très risqué. Cette semaine, Le Devoir fait un survol du phénomène. Second d’une série de trois textes.

« Buvez de l’eau. » Ces trois mots prononcés en juin dernier par le footballeur portugais Cristiano Ronaldo auront coûté 5 milliards de dollars à Coca-Cola. Le géant américain des boissons gazeuses n’a pourtant aucune entente de commandite avec la superstar du ballon rond. Il n’en aura certainement jamais. Mais l’imbroglio illustre à merveille la difficile relation qui existe entre les marques alimentaires et les athlètes professionnels.

Coca-Cola est commanditaire du championnat européen de soccer. L’Euro, pour les intimes. En conférence de presse, la veille du premier match de son équipe nationale dans la célèbre compétition, Ronaldo s’est assis à la table et a repoussé les deux bouteilles de Coke devant lui. Il a ensuite soulevé sa propre bouteille d’eau, laissant entendre qu’il s’agit là d’une façon beaucoup plus saine de se désaltérer.

 

« J’ai suivi l’Euro après l’incident de Ronaldo et j’ai moins souvent vu les publicités de Coca-Cola. Coïncidence ? » s’interroge le professeur de communication de l’Université d’Ottawa Luc Dupont. « La FIFA [l’autorité mondiale en matière de soccer] est peut-être intervenue, car les gens de Coke devaient être furieux… Pourtant, sans les réseaux sociaux, on n’aurait probablement jamais entendu parler du geste de Ronaldo. »

Dans la réalité, l’« affaire Ronaldo » ne dure pas vingt secondes. Sur les réseaux sociaux, la séquence a tourné en boucle pendant des jours. C’est vite devenu viral. Le surlendemain, le joueur français Paul Pogba faisait disparaître une bouteille de bière Heineken de son propre podium, un autre commanditaire de l’Euro, pour sensiblement les mêmes raisons : ce produit ne me représente pas. Pogba ne boit pas d’alcool.

Comme Coca-Cola deux jours plus tôt, Heineken a soudainement vu la valeur de son action chuter de 5 milliards de dollars. Dans les deux cas, ces montants sont des cacahuètes, vu la taille respective des deux sociétés : 320 et 70 milliards de dollars. La tache sur l’image des deux marques a été beaucoup plus dure à encaisser : on en parle encore aujourd’hui.

À une époque dominée par les réseaux sociaux, les géants de la malbouffe qui tentent d’assainir leur image en se collant à des athlètes professionnels courent de plus en plus le risque que ça dérape.

Des risques…

Un risque qu’il est difficile d’éviter pour quiconque tente de s’approprier les services d’athlètes professionnels, qui eux-mêmes ont la plupart du temps une énorme présence sur ces mêmes réseaux sociaux. Ronaldo compte 376 millions d’abonnés sur Instagram.

« De nos jours, la réputation est l’actif le plus précieux qu’une personnalité publique ou qu’une société peut posséder. C’est souvent assez difficile à évaluer, sauf quand ça finit par aller mal », constate Gary Arpin, directeur de la formation pour le cabinet de relations publiques montréalais National. M. Arpin est aussi un expert en gestion de crise.

« Une société veut aligner sa marque avec une personnalité qui affiche des valeurs positives, mais évidemment, ce n’est pas sans risque. Généralement, les scandales arrivent après ce genre d’entente », dit-il.

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À Montréal, l’association sportive la plus prestigieuse est sans conteste celle qui peut être conclue entre une marque et un joueur des Canadiens de Montréal.

Oui, même quand l’équipe va mal.

La chaîne américaine McDonald’s peut en témoigner : malgré une saison catastrophique pour l’équipe tant sur la glace que sur le plan administratif (toute son équipe de recrutement s’est vu montrer la porte à la fin novembre), ses publicités mettant en vedette les joueurs Cole Caufield et Tyler Toffoli semblent plutôt bien reçues, tant par le public que par les spécialistes.

Cossette, l’agence derrière cette campagne, n’a pas voulu répondre aux questions du Devoir, mais les experts questionnés ont tous minimisé l’impact que peuvent avoir de piètres résultats sportifs sur les ventes de Big Mac. L’inverse est même envisageable : certains annonceurs tirent du positif d’une équipe de moins grande qualité. Depuis 2011, La Cage – Brasserie sportive offre des ailes de poulet gratuites un soir de match où le Canadien marque cinq buts. Cette campagne devrait coûter moins cher cette année, l’équipe peinant à marquer plus de deux buts par partie…

… ou des occasions à saisir ?

Il faut dire que dans le monde du marketing, le Canadien est une marque téflon. Ternir son image nécessite un geste d’envergure, disgracieux ou à tout le moins provocateur d’un de ses représentants. Gary Arpin se souvient très bien des deux doigts d’honneur lancés à l’automne 2005 par le gardien José Théodore à un photographe lors d’une séance photo. Six mois plus tard, le Canadien l’échangeait au Colorado en retour d’un autre gardien de but.

Dix ans plus tôt, c’était Patrick Roy qui quittait le Canadien après avoir levé les bras au ciel, dépité d’être la cible de huées de la foule. De retour au banc des joueurs, Roy est allé directement voir le président de l’équipe, assis derrière l’entraîneur-chef Mario Tremblay, médusé, pour lui signifier son intention de partir.

Celle-là a fait mal, à l’époque. Mais le printemps dernier, la société de livraison de repas Uber Eats a marqué un grand coup en réunissant Roy et Tremblay devant une table de hockey-bulle, puis un jeu d’échecs, dans le cadre d’une campagne publicitaire vantant la variété de son menu en ligne.

Les deux personnalités sportives montréalaises ont confirmé dans la foulée qu’elles avaient réglé cette dispute vieille de 25 ans. Tout ça a fait couler beaucoup d’encre, et a confirmé une fois de plus pourquoi le fait de commanditer de telles personnalités attire les grandes marques, alimentaires ou autres : il existe une possibilité qu’elles débordent largement du cadre dans lequel ces commandites sont exécutées.

Évidemment, parfois, ce débordement peut entraîner des effets négatifs. Le gâteau se dégonfle. La sauce ne prend pas. Ou la boisson gazeuse ne plaît pas à l’athlète…



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