En Abitibi-Temiscamingue, une communauté autochtone craint un projet minier de lithium

En Abitibi-Témiscamingue, une communauté autochtone refuse de sacrifier une partie de son territoire au nom du lithium.
Sur une grande carte, Nathalie Mathias pointe un emplacement sur la rive nord du lac Simard, dans le Témiscamingue. C’est là que se trouve le campement où cette mère anichinabée se rend régulièrement, avec sa famille et ses amis, pour profiter de la nature. Elle y emmène ses enfants pêcher, été comme hiver, et y organise des « retraites de guérison ».
C’est aussi là que la compagnie australienne Sayona Mining projette de creuser, d’ici cinq ans, une mine de lithium à ciel ouvert. Les 275 titres miniers détenus par l’entreprise couvrent une superficie de 15 907 hectares, à une quinzaine de kilomètres du village autochtone de Winneway.
« Vais-je perdre l’accès à mon chalet ? » se demande Mme Mathias, l’inquiétude dans la voix et dans les yeux. C’est une question que plusieurs autres membres de sa communauté, qui y ont aussi des campements, se posent.
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Consultez notre photoreportage sur les mines projetées par Sayona en Abitibi-Témiscamingue.En cette froide journée de novembre, une demi-douzaine d’enfants glissent sur des tapis-luges et des trottinettes dans la longue pente qui mène à l’entrée du village. La rivière des Outaouais coule à moins d’un kilomètre. Les flocons de neige virevoltent autour du bâtiment d’une seule pièce du Département des ressources naturelles de la communauté anichinabée Long Point First Nation. À l’intérieur, Mme Mathias et trois autres femmes participent à l’un des trois cercles de parole organisés par le conseil de bande. Ces gardiennes de l’eau, comme elles se désignent elles-mêmes, sont toutes opposées à ce projet, nommé Tansim. Elles craignent la destruction de la forêt et la contamination de l’eau du lac fréquenté quotidiennement par les membres de la communauté.
« Les poissons que nous pêchons ont besoin de l’eau ; les bleuets, les canneberges se trouvent près de l’eau ; le cèdre, qui est important dans notre médecine, pousse au bord l’eau »,explique Claudette Poucachiche, qui veut laisser cette ressource en héritage à sa douzaine de petits-enfants.

Ce qui serait en jeu, c’est leur mode de vie traditionnel. Pour se nourrir, les membres de la communauté comptent encore beaucoup sur la chasse et la pêche, notamment sur le territoire visé par la minière. « Dans la plupart de nos congélateurs, il y a de la viande d’orignal. Les chasseurs partagent la viande avec ceux qui ne peuvent pas aller chasser », rapporte Mme Poucachiche. Le castor, la perdrix et même le lynx se trouvent régulièrement dans leurs assiettes. Une pétition contre le projet Tansim, mise en ligne par la fille de Mme Mathias, a récolté plus de 22 000 signatures.
Une opposition déterminée
Les représentants du conseil de bande constatent les craintes de leurs membres. Alors que Sayona avait annoncé l’intention de procéder à des forages d’exploration ce printemps, le conseil s’y est opposé. L’entreprise s’est alors engagée à mettre le tout sur pause jusqu’à la conclusion d’une entente avec la Long Point First Nation.
Le chef de la direction de Sayona Québec croit qu’une bonne communication avec les résidents de Winneway permettra d’en arriver à un accord. « On peut avantageusement aider à la formation de la main-d’œuvre, à l’employabilité, faire participer les entreprises de la communauté à l’exécution du projet, avance Guy Laliberté. Il y a une compensation financière qui est aussi souvent discutée. »
Mais le conseil de bande a un point de vue très différent. « Même s’ils cognaient à nos portes avec un milliard de dollars, nous aurions encore de grandes réticences. Il n’y a pas de prix que nous pouvons mettre sur l’eau », déclare Berlinda Wabegijig, la conseillère responsable des ressources naturelles, qui est aussi enseignante à l’école primaire de la communauté.
La crainte de Mme Wabegijig est qu’en cas d’impasse, l’entreprise considère qu’elle a le droit d’aller de l’avant quand même. Il n’est donc pas exclu que la Long Point First Nation doive éventuellement défendre ses revendications territoriales devant les tribunaux, croit l’avocat Rodrigue Turgeon, qui travaille avec la communauté sur le dossier des projets miniers. Une chose est certaine, le chef de la Long Point First Nation, Steeve Mathias, ne souhaite pas que sa communauté d’environ 800 membres soit déménagée, comme elle l’a été par le passé en raison d’un barrage hydroélectrique. Le conseil souhaite que le gouvernement du Québec intervienne en leur faveur dans le dossier.
Dans le village voisin de Laforce, l’enthousiasme ne semble pas non plus au rendez-vous. « Des emplois, c’est bien beau, mais on aimerait mieux un projet d’agriculture », dit le maire Gérald Charron, le regard tourné vers le site du projet Tansim, de l’autre côté du vaste et sauvage lac Simard. « Si ça contamine l’eau ici, ça va contaminer jusqu’en bas de la rivière des Outaouais », ajoute-t-il, avant de repartir dans sa camionnette.
Une constellation de mines
Le projet Tansim serait l’une des trois mines projetées par Sayona en Abitibi-Témiscamingue, qui doivent alimenter une usine de première transformation du lithium sur le site de North American Lithium. Ce complexe minier situé dans la municipalité de La Corne, qui comprend l’une des trois mines en question, a été acquis cet été par l’entreprise australienne. Le propriétaire précédent, l’entreprise chinoise CATL, avait arrêté la production en mai 2019 et s’était placé sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Sayona possède aussi des parts du projet de mine Moblan, en Jamésie.
« Avec ces quatre projets, on a laplus importante réserve de lithium identifié aujourd’hui en Amérique du Nord, soit 23 % de celui-ci », a affirmé M. Laliberté.
Par ailleurs, de nouveaux projets miniers liés au lithium pourraient émerger dans les prochaines années, car le nombre de titres d'exploration minière liée au lithium a explosé en Abitibi-Témiscamingue et au Québec.
Le gouvernement provincial, par le truchement d’Investissement Québec, avait injecté 110 millions de dollars dans North American Lithium avant son acquisition par Sayona et Piedmont Lithium. L’entente permettant la transaction prévoit le remboursement de 47 millions de dollars par les nouveaux propriétaires. L’objectif est de redémarrer la mine et l’usine de première concentration de spodumène de lithium d’ici un an et demi.
Or des obstacles se dressent encore devant la réalisation non seulement de Tansim, mais aussi de la mine Authier, qui fait face à de l’opposition dans la région. Des citoyens et des organismes ont notamment des craintes quant à l’intégrité de l’esker de Saint-Mathieu-Berry, une source d’eau potable souterraine à laquelle s’alimente notamment la compagnie d’eau embouteillée Eska. Un processus d’évaluation environnementale a été enclenché par le ministère de l’Environnement, et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement devrait se pencher dessus vers la fin de 2022, prévoit l’entreprise minière.
Des risques environnementaux
Mais quels sont les risques environnementaux réels des mines de lithium ? Les membres de la Long Point First Nation ont-ils raison de s’inquiéter pour l’intégrité de leur lac ? « Il y a toujours un risque de contamination de l’eau. C’est une question de gestion du risque. Est-ce que le risque est minime ou acceptable ? » indique Benoît Plante, titulaire de la Chaire de recherche institutionnelle en géochimie environnementale des ressources minérales critiques et stratégiques et professeur à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Le cas de Tansim devra donc être étudié pour déterminer ce risque.
« Il y a eu dans le passé des lacs qui ont été perturbés gravement par des mines. Mais on est dans une nouvelle époque, où les risques sont largement mitigés et surveillés. Ça va être, par exemple, des campagnes d’échantillonnage de poissons tous les étés », ajoute pour sa part Jean-François Boulanger, professeur à l’Institut de recherche en mines et en environnement de l’UQAT.
Le directeur général de la Société de l’eau souterraine de l’Abitibi-Témiscamingue craint pour sa part que l’empressement à développer la filière des batteries au lithium nuise à la rigueur des études environnementales. Olivier Pitre cite comme exemple l’étude hydrogéologique effectuée pour le compte du premier propriétaire de la mine de La Corne. Celle-ci est désuète, affirme-t-il, car la fosse est maintenant plus grande de 45,2 % par rapport à ce qui était prévu au départ. Il réclame que celle-ci soit mise à jour, car les effets sur la nappe phréatique pourraient différer.
Le Regroupement vigilance mines d’Abitibi-Témiscamingue a, pour sa part, compilé 83 cas de fuite, de déversement ou de bris de conduite durant les quelque cinq ans d’activités de la mine de La Corne. Des milliers de litres de résidus miniers, d’eau de procédé et de concentré de pulpe se seraient ainsi répandus hors de l’endroit où ils sont censés être circonscrits. Or, selon Benoît Plante, « si la mine fait bien les choses », l’impact de ces incidents peut être « limité sur le site » et « très bien être contrôlé et réparé après ».

De son côté, Sayona Québec estime que les avantages environnementaux de ses projets surpasseront les nuisances. « On pourrait, comme Québécois et Québécoises, contribuer largement à la lutte contre les changements climatiques en permettant à ces projets d’émerger, estime le chef de la direction de Sayona Québec. Quelles sont les autres options si on veut remplacer l’essence dans nos véhicules, nos bateaux et nos transports aériens un jour ? Vous avez le choix d’acheter du lithium de l’Australie qui a été transformé en Chine ou des sels de lithium de l’Amérique du Sud, qui sont drôlement difficiles pour les eaux souterraines, avec des conditions de travail peut-être moins intéressantes qu’en Abitibi. »
Une autre vision de la transition
À La Motte, où se trouve le projet Authier, ce discours vert ainsi que la promesse d’emplois et de revenus pour la municipalité ont convaincu une partie de la population, dont le maire, Réjean Richard. Ce dernier rapporte que le projet a toutefois créé des tensions entre les citoyens favorables et les citoyens défavorables au projet.
Marie-Hélène Massy Emond refuse que sa forêt, son lieu de ressourcement, soit remplacée par un grand trou et des tas de roches. « Depuis 13 ans, je viens ici cueillir des champignons et des bleuets. Cette forêt, je l’habite. Mes jours de bonheur, de tristesse, de découverte, d’apprentissage, je les vis ici, plusieurs heures par semaine », affirme cette artiste sonore.
En empruntant des chemins forestiers, elle et des amis inquiets du projet de mine sont entourés de dizaines de puits de forage effectués par Sayona, marqués par des cylindres orange. Ils sont au cœur de la mine projetée. Sur le bord d’un petit lac, le groupe allume un feu de bois et dénonce la vision du gouvernement en matière de transition énergétique.

« Tout ce qu’on va faire, c’est changer le pétrole pour une autre extraction qui va avoir ses impacts négatifs sur l’environnement et sur les populations », déplore Mme Massy Emond.
« On justifie des urgences à partir de besoins. Mais en réalité, ce sont des désirs convertis en besoins », renchérit Gilles Gagnon, résident de Saint-Mathieu-d’Harricana, un village voisin.
« Il faut des politiques sociales pour modifier les habitudes de vie qui sont très nocives à l’environnement », dit Rodrigue Turgeon, co-porte-parole du Comité citoyen de protection del’esker, qui est aussi avocat pour la Long Point First Nation. Le Comité souhaiterait, par ailleurs, que soit réalisée une étude des impacts cumulatifs des trois projets de Sayona.
À quelques pas de là luisent des cristaux de lithium, sous une fine couche de neige. Ils pourraient bien être transformés en composantes de batteries dans un avenir rapproché, ou reposer là pour des millénaires encore.