La longue route de la batterie aux ions de lithium québécoise

Le gouvernement Legault en a fait une de ses priorités : le Québec veut sa propre filière de batteries aux ions de lithium, allant de l’extraction des minéraux nécessaires aux batteries des véhicules électriques jusqu’à leur recyclage. Le Québec a-t-il réellement les moyens de ses ambitions ? Et quelles sont les étapes à mettre en place pour que cette filière voie le jour ? Le Devoir propose un portrait de la situation.
Partout dans le monde, les États jouent du coude pour tenter de prendre les devants dans la course à l’électrification des transports, ou du moins pour se tailler une place afin d’éviter d’être laissés sur le carreau. Le Québec ne fait pas exception. « C’est un projet audacieux pour la société québécoise », lance d’emblée en entretien Karim Zaghib, expert des batteries aux ions de lithium et ancien directeur du Centre d’excellence en électrification des transports et en stockage d’énergie d’Hydro-Québec.
Celui qui conseille aujourd’hui Investissement Québec sur la mise sur pied de cette filière reconnaît que « la concurrence est féroce », mais la province peut selon lui compter sur un écosystème compétitif — considérant son potentiel minier, son hydroélectricité permettant d’améliorer le bilan énergétique de la filière, en plus de sa proximité avec le marché américain.
Le gouvernement met les bouchées doubles pour que ce projet se concrétise. « Ce qu’on a investi, à date, dans la filière de la batterie, c’est approximativement 250 millions de dollars. Si on arrive à faire la chaîne au complet, on parle d’investissements totaux qui ne seraient pas loin de 10 milliards sur les 5 à 10 prochaines années », évalue le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, en entrevue au Devoir.
L’objectif est de mettre en place toutes les étapes de cette filière pour éviter que nos minéraux prennent le chemin de l’étranger en cours de route. Mais ce n’est pas encore dans la poche.
Exploration et extraction minière
Cela prend plusieurs minéraux pour fabriquer une batterie aux ions de lithium, en particulier le graphite, le lithium, le cobalt, le nickel et le cuivre. Les projets miniers liés à ces minéraux ont poussé comme des champignons dans les dernières années. Par exemple, il y a dix projets de mines de graphite, dont neuf sont à l’étape de l’exploration ou de la mise en valeur. Cinq projets de mines de lithium sur six sont aussi à ce stade.
« On voit tout à fait un regain dans l’exploration minière liée aux énergies renouvelables et à l’électrification des transports », rapporte Tony Brisson, président-directeur général de SOQUEM, la branche d’Investissement Québec consacrée à l’exploration minière.
Présentement, le Canada produit un très petit pourcentage de ces minerais. La production de graphite est notamment dominée par la Chine, et celle de lithium, par l’Australie. Or, la demande mondiale devrait augmenter d’environ 500 % d’ici 2050 par rapport aux niveaux de production de 2018 pour le graphite, le lithium et le cobalt, estime la Banque mondiale. Et les Américains préfèrent s’approvisionner au Québec plutôt qu’à l’extérieur du continent, croit Investissement Québec.
Transformation des minéraux
La transformation des minéraux constitue une étape clé de la filière. Et elle devrait être faite au Québec, insiste le ministre Fitzgibbon. « La richesse collective va venir de la conversion du minerai en valeur ajoutée, comparativement à ce qu’on faisait avant, d’envoyer nos minéraux ailleurs. » Plusieurs projets sont en cours sur ce flanc. Nemaska Lithium a commencé des travaux à Bécancour en vue de la construction d’une usine de transformation du minerai extrait de sa mine Whabouchi, dans le Nord-du-Québec, en hydroxyde de lithium. Cet hydroxyde peut ensuite servir dans les batteries alimentant les voitures électriques.
En Abitibi, Sayona Québec compte relancer l’extraction à sa mine North American Lithium dans environ un an et demi. Elle compte aussi amorcer d’ici cinq ans une transformation en carbonate de lithium, explique le chef de la direction, Guy Laliberté. Dans l’intervalle, M. Laliberté admet que son lithium devra être transformé à l’extérieur du Québec.
Nouveau Monde graphite, de son côté, compte ouvrir en 2025 une usine à Bécancour pour la transformation du graphite en matériel d’anode.
Création des anodes et des cathodes
Une fois les minéraux transformés, ils sont utilisés pour créer des anodes et des cathodes, composantes principales d’une cellule de batterie.
Le gouvernement du Québec tente encore d’attirer un producteur de cathodes et est en discussion avec au moins « trois groupes ». Aucun n’a toutefois pour le moment annoncé publiquement son intention de s’installer dans la province. En entrevue au Devoir, le ministre Fitzgibbon a dit s’attendre à pouvoir faire des annonces « d’ici trois à six mois ».
Le Québec n’a d’autre choix que de se tourner vers l’extérieur de l’Amérique du Nord — plus précisément l’Asie ou l’Europe — pour dénicher un producteur, concède M. Fitzgibbon. « C’est sûr qu’on parle avec des gens qui en font déjà, précise-t-il. On n’a jamais fabriqué une batterie au Québec. Donc, si on veut convaincre un grand équipementier, comme GM, Tesla ou Ford [de s’approvisionner au Québec], ils vont nous regarder et nous dire: “oui, vous avez les matériaux, mais là, faire une cathode, ça prend quelques années d’expérience” », a-t-il expliqué.
Assemblage des cellules
Les anodes et les cathodes sont assemblées dans une cellule individuelle. Une série de cellules connectées ensemble forment la batterie.
Là encore, c’est la course. Les annonces de mise sur pied d’usines d’assemblage de cellules se multiplient en Amérique du Nord, comme ailleurs dans le monde. Au Québec, les entreprises Britishvolt (du Royaume-Uni) et Stromvolt (de l’Ontario) ont déjà fait connaître leurs intentions. La première convoite le parc industriel et portuaire de Bécancour pour s’installer ; c’est là que se trouveront les usines de transformation de Nemaska Lithium et de Nouveau Monde graphite. La seconde n’a pas encore précisé ses plans.
Montage du bloc-batterie
Le montage du bloc-batterie est quant à lui le plus souvent réalisé par les fabricants de véhicules pour qu’il soit adapté à leurs modèles. Cela signifie que les cellules qui seraient produites au Québec pourraient être envoyées ailleurs en Amérique du Nord et dans le reste du monde à des constructeurs de véhicules électriques.
Le Québec ne compte pas de fabricants automobiles, mais il se démarque toutefois en matière de production de véhicules lourds et commerciaux. Lion électrique, une entreprise de Saint-Jérôme spécialisée dans la production d’autobus et de camions électriques, a pour sa part déjà annoncé la construction d’une usine d’assemblage de bloc-batterie. Québec et Ottawa ont conjointement injecté 100 millions de dollars pour le projet, dont la facture totale est évaluée à 185 millions de dollars.
Recyclage des batteries
Le dernier maillon de la chaîne est celui du recyclage des batteries. Au Québec, cette étape clé se déroule à l’usine de démonstration Recyclage Lithion, à Anjou, en activité depuis février 2020. L’entreprise est actuellement en phase de développement et sera prête pour la commercialisation d’ici 2023.
« Chez Lithion, on fait de l’économie circulaire », résume Jean-Christophe Lambert, responsable du développement des affaires de l’entreprise. En recyclant 95 % des composantes des batteries, Lithion parvient à récupérer les minéraux de « grade batterie », qui peuvent être réintégrés dans la chaîne pour produire des anodes et des cathodes. En d’autres mots, on saute les étapes de l’extraction et de la transformation.
L’avantage d’un circuit plus court pourrait se refléter dans les prix. « L’objectif à long terme est que les matériaux recyclés coûtent moins cher que les matériaux vierges pour cette raison. Mais actuellement, comme le marché du recyclé est naissant, les prix suivent ceux des matériaux vierges », précise M. Lambert.
À terme, Lithion prévoit de recycler annuellement 7500 tonnes de batteries au Québec, soit l’équivalent de 20 000 véhicules électriques par an.