Creuser dans le sud du Québec, à la recherche de graphite

Pour le moment, Nouveau Monde Graphite teste son processus de transformation du minerai à Saint-Michel-des-Saints.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Pour le moment, Nouveau Monde Graphite teste son processus de transformation du minerai à Saint-Michel-des-Saints.

À Saint-Michel-des-Saints, Nouveau Monde graphite s’attelle à creuser ce qui pourrait devenir la plus grande exploitation de graphite en Occident, selon l’entreprise. La minière a déjà reçu le feu vert de Québec pour aller de l’avant en début d’année et peut compter sur l’appui de la municipalité, mais des citoyens restent déterminés à l’arrêter — et plaident coûte que coûte que les minières n’ont pas à s’installer dans les zones de villégiature du sud de la province.

Le projet de mine à ciel ouvert de Matawinie se situe à deux heures de Montréal, à côté du lac aux Pierres, au sud du parc régional du Lac-Taureau, dans Lanaudière. « On est le plus gros projet et le plus avancé en Amérique du Nord », lance sans détour Éric Desaulniers, p.-d.g. de Nouveau Monde graphite et géologue de formation. Dès sa mise en production, et ce, pendant 26 ans, la mine extraira 100 000 tonnes de graphite par année de son gisement, dont la teneur s’élève à près de 4,35 % de graphite.

Le graphite, nécessaire pour le virage électrique des transports, représente la moitié des composantes de la batterie aux ions de lithium, soit environ 95 % de l’anode. « C’est aussi le minéral le plus contrôlé de tous les matériaux de batterie », constate M. Desaulniers. Présentement, la Chine accapare plus de 85 % de la production de toutes les anodes (graphite naturel et synthétique) et 100 % des anodes constituées de graphite naturel, selon les données de Benchmark Minerals.

Nouveau Monde graphite ne cache pas qu’il a pour ambition de soutirer des parts de marché au géant asiatique et de se positionner comme un fournisseur de premier plan pour les manufacturiers qui veulent diversifier leurs sources d’approvisionnement. « On sait bien qu’on ne va pas dépasser la Chine, mais on veut être cet autre fournisseur », explique Éric Desaulniers.

La production de la mine, qui devait débuter à la fin de 2023, devrait finalement plutôt être lancée en 2024 « parce qu’il faut faire arrimer le développement de la mine à celui de l’usine de transformation de Bécancour, dont les activités commerciales commenceront en 2025. Ça ne sert à rien de démarrer la mine trop vite », souligne M. Desaulniers.

« Le projet de Bécancour est très important pour nous », reconnaît-il. Si l’entreprise met autant d’efforts sur le développement de son procédé de transformation du graphite en matériel d’anode, c’est que c’est là qu’elle en tire la valeur ajoutée. Environ 60 % de la production de la mine sera ainsi envoyée à Bécancour, dont les produits transformés sont destinés à l’industrie des batteries électriques.

Une communauté divisée

 

Le projet minier, situé dans le Nitaskinan, territoire ancestral revendiqué par la nation atikamekw, ne fait toutefois pas l’unanimité au sein de la communauté autochtone. Aucune entente n’a encore été signée entre la nation et l’entreprise. En mars dernier, à Radio-Canada, le Conseil des Atikamekw de Manawan disait vouloir obtenir des redevances de 250 millions de dollars de la part de l’entreprise.

« Ils ont dit publiquement ce qu’ils veulent avoir. Mais on ne peut pas offrir autant que ça, rétorque M. Desaulniers. Nous, par année, on va donner environ 30 millions au gouvernement du Québec en redevances minières. Et les Atikamekw veulent leur juste part du gâteau. Ça dépasse vraiment ce qu’on peut faire, parce qu’ils veulent un pourcentage de ce qu’on va donner au gouvernement du Québec. Là, c’est réellement une discussion à trois. »

Mais les Atikamekw ne sont pas les seuls à être partagés quant au projet. Une partie de la population, principalement des villégiateurs, s’inquiète des répercussions du projet minier sur l’environnement et l’écosystème touristique.

« C’est directement dans notre cour, donc c’est normal qu’on soit très très interpellés par le projet », lance d’emblée May Dagher, porte-parole de la Coalition des opposants à un projet minier en Haute-Matawinie (COPH). « On n’a toujours eu qu’un seul son de cloche : celui du promoteur et du conseil municipal qui appuie le projet minier », déplore-t-elle.

Selon un sondage mené par la firme Léger, plus de 80 % de la population serait favorable au projet à Saint-Michel-des-Saints. Mais les villégiateurs remettent en cause la représentativité du sondage.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir

« Le sondage est biaisé, lance Dmitri Kharitidi, membre de la COPH. Ils ont appelé les lignes résidentielles locales, mais tous les villégiateurs qui n’ont pas nécessairement de ligne fixe à Saint-Michel-des-Saints et qui utilisent un téléphone portable n’ont pas été consultés. Cela fait en sorte qu’ils ont sondé la partie de la population qui était peut-être la plus favorable au projet parce qu’ils anticipent les retombées sur l’emploi reliées à la mine », explique-t-il.

Cet élément a d’ailleurs été souligné dans le rapport du BAPE, déposé en juin 2020. « L’échantillon comportait 5 % de villégiateurs, alors qu’ils constituent environ 50 % de la population résidant sur le territoire de la municipalité de Saint-Michel-des-Saints », y mentionne-t-on.

Non seulement les opposants ne veulent pas qu’une mine vienne « défigurer » le paysage de Saint-Michel-des-Saints, mais ils craignent aussi les risques liés aux résidus miniers toxiques, bien que Nouveau Monde graphite assure que la méthode utilisée de « codisposition » — qui vise à encapsuler les résidus acides et les métaux lourds dans les résidus non toxiques — protège d’éventuelles « fuites ».

Même si les travaux d’infrastructures de la mine ont déjà commencé, les opposants croient dur comme fer qu’ils peuvent encore faire avorter le projet.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir

« C’est la première fois, au Québec, qu’une mine vient s’installer dans un secteur de tourisme. Si le gouvernement commence à promouvoir ce genre de projets, où va-t-il s’arrêter ? » interroge May Dagher.

Mobilisation dans le sud du Québec

 

« Le débat n’est pas de savoir si on est pour ou contre les batteries », croit Ugo Lapointe, fondateur de Québec meilleure mine. « C’est plus nuancé que ça. On est tous d’accord, mais il faut le faire intelligemment. Car si on veut prétendre à faire du transport vert, il faut que la chaîne soit verte du début à la fin », résume-t-il.

« Actuellement, c’est free for all, poursuit-il. Les compagnies minières ont des titres miniers partout dans les Laurentides, dans Lanaudière, dans l’Outaouais, et là, il y a des mobilisations citoyennes très fortes. » Le projet de mine de graphite « La Loutre » de Lomiko — près de la réserve faunique de Papineau-Labelle —, notamment, suscite de vives inquiétudes chez les résidents du secteur.

« Il y a des municipalités qui se mobilisent pour réclamer du gouvernement qu’il révise la Loi sur les mines. Il faut revoir les critères des territoires incompatibles à l’activité minière au Québec, parce qu’on n’est pas capables de protéger nos lacs, nos rivières et nos milieux de villégiature », rapporte Ugo Lapointe.


« Il existe d’autres projets qui ont du sens, qui sont rentables et pour lesquels il y a une bonne acceptabilité sociale. Par exemple, il y a Mason Graphite et Focus Graphite, qui présentent certains avantages pour nous, à Québec meilleure mine. Leur teneur en graphite est plus élevée. Ils ne sont pas dans des zones de villégiature. Ils sont sur la Côte-Nord. Et il y a une très bonne acceptabilité sociale », résume M. Lapointe.

Selon lui, le Québec a la possibilité de choisir quelles réserves exploiter et quelles zones plus fragiles protéger. « Oui, la demande va exploser, mais les réserves mondiales sont aussi importantes. Le défi, c’est d’y accéder et de gérer les coûts socio-environnementaux », insiste-t-il.



À voir en vidéo