Le Québec est-il prêt à payer pour se sortir du plastique?

L’habitude d’acheter des produits bon marché très peu responsables devra changer, estime le p.-d.g. de Pyrowave.
Photo: Pyrowave L’habitude d’acheter des produits bon marché très peu responsables devra changer, estime le p.-d.g. de Pyrowave.

La consommation annuelle mondiale de plastique a doublé en vingt ans et pourrait doubler à nouveau d’ici dix ans. Malgré tous les efforts pour réduire les déchets de plastique, son utilisation ne cesse de croître, et la faute en revient en partie aux consommateurs, qui préfèrent payer moins cher pour des articles jetables ou suremballés. Éradiquer ce grave problème environnemental est un défi ambitieux, mais pas impossible, selon le p.-d.g. de Pyrowave, Jocelyn Doucet.

Pyrowave est une entreprise québécoise en pleine émergence qui se spécialise dans la décomposition des déchets de polystyrène à l’aide de micro-ondes, un procédé qui utilise de l’électricité plutôt que des agents chimiques pour recréer des monomères, le matériau de base dans la production de nombreux biens courants, et pas seulement des emballages. Cette formule séduit les investisseurs : Pyrowave vient de lever 7 millions de dollars auprès de groupes qui comprennent Investissement Québec afin d’agrandir ses installations au Québec et d’aider à mettre fin aux rebuts de plastique.

Le plastique recyclé

 

Chaque année, la planète consomme 380 millions de tonnes de plastique. C’est une production annuelle qui a doublé par rapport à il y a vingt ans. Une bonne partie de ce volume finit sa course dans les sites d’enfouissement. Et de plus en plus, ils débordent jusque dans les océans, les rivières et même, dans le cas des particules de microplastique, dans les organismes vivants. Pourtant, on peut recycler tout ce plastique. La solution à ce problème est double : d’abord, il faut s’assurer que les déchets de plastique finissent chez un recycleur. Ensuite, il faut que le plastique recyclé soit revendu à un prix concurrentiel par rapport à celui du plastique vierge, note Jocelyn Doucet.

« Le premier défi est d’établir une chaîne d’approvisionnement qui permet d’acheminer le plastique en fin de vie utile aux recycleurs. C’est le cœur du problème. La technologie existe pour que les centres de tri puissent départager les différents plastiques pour ensuite les recycler à hauteur de 98 %. Ensuite, il faudrait faire davantage la promotion du plastique recyclé dans la fabrication de nouveaux produits. Enfin, il faudrait avoir une politique d’écoconception pour éliminer la surutilisation du plastique, tout particulièrement celle qui combine différents plastiques dans un seul produit, ce qui complique ensuite leur recyclage. »

Le vrai coût du suremballage

 

Une bouteille d’eau vendue au dépanneur est généralement composée de plus d’un plastique. Son étiquette est un plastique souple qui doit être retiré et traité différemment de la bouteille elle-même. Des épiciers vendent leurs bananes dans un papier cellophane, car ce dernier garantit une meilleure fraîcheur. Ils expliquent que cette approche, qui s’apparente à du suremballage, est en fait moins polluante puisqu’elle réduit le gaspillage alimentaire. Comment plus d’emballages en plastique peuvent-ils être une solution crédible aux montagnes de déchets — composées en bonne partie de plastique qu’on trouve partout sur la planète ? En trichant sur sa valeur réelle, estime le p.-d.g. de Pyrowave.

« Trier des déchets de plastique, ça coûte plus cher que produire du plastique vierge pour des compagnies pétrolières dont le modèle d’affaires est avant tout d’extraire des ressources naturelles du sol. Et le plastique vierge coûte peu cher, car on ne calcule pas une partie de son coût, qu’on pourrait appeler son coût carbone. C’est une question de coûts. C’est pourquoi on suremballe et on utilise du plastique pas toujours pour les bonnes raisons. »

Un effet pervers

 

L’électrification des transports signale la fermeture imminente de nombreuses stations-service qui ne vendront plus suffisamment de pétrole pour demeurer rentables. Elles n’achèteront plus autant de carburants auprès des compagnies pétrolières, qui devront trouver d’autres secteurs où vendre leurs produits. Ces autres secteurs sont d’ailleurs déjà bien ciblés : les produits de plastique. Ce n’est pas pour rien que les plus grands producteurs d’hydrocarbures investissent à l’heure actuelle des milliards de dollars dans la construction de nouvelles usines de transformation du pétrole en polymères de toute sorte, constate M. Doucet.

Question-réponse

Le Devoir : Tout le monde prêche pour une réduction, voire une élimination complète du plastique à usage unique d’ici une dizaine d’années. Est-ce un objectif réaliste ?

Jocelyn Doucet : Techniquement, c’est tout à fait possible. Les moyens existent. La vraie question est plutôt de savoir si les gens sont prêts à payer pour y arriver. Car on ne s’en sortira pas sans hausser le coût de production du plastique vierge. Et comme les consommateurs ont l’habitude d’acheter des produits pas chers plutôt que responsables, il faudra que cette habitude change.

« Le modèle des sociétés pétrolières date de la Deuxième Guerre mondiale et n’a pas beaucoup évolué depuis : elles extraient des ressources naturelles du sol et les transforment en biens qu’on ne consomme qu’une fois. C’est là où les gouvernements de la planète ont un rôle de leadership à jouer. Bannir l’utilisation de plastiques à usage unique est un bon début. Il faut ensuite mener les compagnies pétrolières à se concentrer sur la production de biens plus durables, puis à mieux prendre en charge la fin de vie de ces produits. Il faut créer un modèle d’affaires qui permet d’utiliser du plastique à nouveau pour produire d’autres biens. »

Le Québec et son plastique

 

Le modèle d’affaires de Pyrowave est relativement simple : l’entreprise vend sous licence sa technologie à des géants industriels qui ont les ressources nécessaires pour incorporer à grande échelle des matériaux recyclés dans leur production. Le groupe français Michelin a été un des premiers clients de Pyrowave. L’entreprise québécoise ne fait d’ailleurs affaire qu’à l’extérieur du pays. Pour le Québec, c’est un atout d’avoir un tel exportateur au sein de son économie. En revanche, cela signifie que le plastique jeté au Québec ne profite pas de sa technologie…

« L’industrie du plastique au Québec n’est pas très grosse, mais on pourrait quand même la rendre très concurrentielle à l’échelle internationale. Dans le polystyrène, nous comptons deux producteurs québécois et nous leur parlons déjà. Il serait possible de créer un polystyrène recyclé, qu’ils pourraient ensuite vendre à l’extérieur de la province. On pourrait ainsi produire un plastique québécois vert et compétitif. »

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