Pénurie annoncée de sapins de Noël au Québec
Le Grincheux du temps des Fêtes pourrait cette année prendre la forme des gels printaniers et des sécheresses estivales qui ont affecté « au moins 10 % » des plantations de sapins de Noël de producteurs québécois, réduisant une offre qui ne répondait déjà pas à la demande. Résultat : 2021 sera marquée par une pénurie d’arbres à décorer.
« Ce ne sera pas évident de trouver un arbre de Noël cette année », avertit Charles Vaillancourt, président de l’Association des producteurs d’arbres de Noël du Québec (APANQ), précisant que « l’année a été particulièrement difficile » pour nombre de producteurs.
Les gels printaniers ont tout particulièrement nui à la production en Beauce et en Estrie, région qui représente à elle seule plus de 50 % de la production québécoise de sapins. « Ce que ça crée, c’est que les nouvelles pousses [l’extrémité des branches] brunissent ou brûlent complètement. Il faut alors attendre qu’elles sèchent et qu’elles tombent », explique-t-il.
« Esthétiquement parlant, ce n’est pas l’idéal », indique pour sa part Stéphane Bernier, propriétaire de Plantation Bernier, un producteur de sapins de Lac-Brome : « Les gens veulent un sapin vert dans leur salon. On doit repousser d’un an la coupe d’une partie de la production. » Qui plus est, en « brûlant les pousses », les gels freinent la croissance des conifères. « C’est un peu l’équivalent d’une année perdue », note-t-il.
Les gels sont cycliques et se produisent généralement tous les 10 ans. Or, l’industrie essuie les contrecoups des aléas climatiques pour une deuxième année de suite, rappelle Émilie Turcotte-Côté, vice-présidente de l’APANQ et agronome chez BL Christmas Trees.
Cette entreprise de Sherbrooke cultive près de 1000 hectares de plantation en Estrie, en Gaspésie et au Centre-du-Québec. « Du coup, notre production n’a pas été affectée de la même façon d’une région à l’autre, ce qui nous a permis de réduire l’impact », dit-elle.
Elle ajoute : « Au moins 10 % des champs de certains producteurs ont gelé. Et 10 %, c’est conservateur. Nous, il y a des champs qui ont gelé au complet. C’est sûr que c’est plus difficile pour de plus petits producteurs », dit-elle.
« Et il ne faut pas oublier les sécheresses estivales qui ont suivi, rappelle M. Vaillancourt. Ça fait deux ans qu’on n’a pas beaucoup d’eau, donc les arbres ont de la difficulté à aller chercher leurs nutriments. Moi, j’ai plusieurs petits plants qui sont morts parce qu’il manque de l’eau dans le sol. »
Par crainte d’une troisième année difficile, des producteurs revoient leurs façons de faire. Ils ne prennent pas de risque et coupent l’arbre dès qu’il atteint cinq ou six pieds. « Oui, ça peut affecter l’offre de sapins plus grands sur le marché », dit M. Vaillancourt.
Sur le long terme, les répercussions des changements climatiques pourraient mener les producteurs à revoir leurs méthodes, indique pour sa part Mme Turcotte-Côté : « Le débourrement [moment où les bourgeons s’ouvrent] des sapins baumiers arrive plus tôt au printemps, donc ils sont plus susceptibles de subir les gels. Une des options pourrait être de cultiver plus de sapins Fraser ou de sapins hybrides, mais ça vient avec de nouvelles méthodes de culture », explique-t-elle.
Le Québec n’est pas la seule province productrice à avoir subi les contrecoups des aléas climatiques cette année. L’été caniculaire et les sécheresses en Colombie-Britannique, par exemple, auraient eu raison de 70 % des plantations de certains producteurs.
L’offre sur le marché nord-américain est en baisse, alors que la demande, elle, a augmenté dans les dernières années. Et cette année ne devrait pas faire exception. La difficulté de mettre la main sur des sapins artificiels — à cause des retards de livraison dus à la pénurie de conteneurs dans le transport maritime — pourrait bien stimuler la demande pour les arbres naturels.
Prix en hausse
Résultat : les prix devraient être tirés vers le haut. Que devront débourser les Québécois pour leurs sapins de Noël ? « Ça dépend des régions. Les arbres sont moins chers à Sherbrooke qu’à Montréal. Mais ça dépend aussi de la part que les détaillants prendront. Je serais porté à dire que le prix pour un sapin de six pieds pourrait graviter entre 60 et 80 dollars », estime Charles Vaillancourt.
« Pour notre part, on a augmenté de 15 % le prix des sapins en comparaison avec l’an dernier », dit Daniel Thibeault, président de Bôsapin, une entreprise qui vend les arbres sur Internet et qui assure la livraison à domicile. « C’est près de 20 000 arbres qu’on va vendre cette année, mais j’aurais pu en vendre 30 000 facilement si je les avais eus », dit-il, estimant à près de 5000 le nombre de sapins qu’il ne pourra couper à cause des gels printaniers.
L’augmentation des prix s’ajoute à celles des dernières années. Aux États-Unis, le prix moyen d’un sapin a bondi de 123 %, passant de 35 dollars américains en 2013 à 78 dollars en 2018, selon la National Christmas Tree Association. Et tout porte à croire qu’une hausse comparable a été observée de notre côté de la frontière.
Depuis la crise économique de 2008, de nombreux petits producteurs qui cultivaient des superficies de moins de 50 acres ont pris leur retraite, ont fait faillite ou ont été rachetés. « Si on cumule ces petits producteurs, ça représente une bonne portion des arbres qui se retrouvaient sur les marchés », dit M. Vaillancourt.
Et comme il s’écoule près de 10 ans entre l’ensemencement et la maturité d’un arbre, c’est maintenant qu’on ressent les contrecoups de ce qui s’est déroulé au tournant des années 2010, explique le président de l’APANQ.
Avec plus de 260 producteurs d’arbres de Noël, le Québec est la principale province productrice d’arbres de Noël au Canada, suivi par la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.
Environ 70 % de la production québécoise — soit près de 1,8 million d’arbres — est exportée. La quasi-totalité de ces exportations (98 %) est écoulée sur le marché américain, principalement dans les États de New York, du Massachusetts et de la Caroline du Nord.
« Les 2 % restants, ce sont des arbres qui peuvent être vendus aux Bermudes, aux Bahamas, voire quelques-uns à Dubaï », indique M. Vaillancourt.