Le Canada, ce paradis fiscal

Le Canada se trouve au 10e rang dans le triste palmarès des principaux pays responsables des pertes fiscales à l’échelle mondiale.
Photo: Getty Images/iStockphoto Le Canada se trouve au 10e rang dans le triste palmarès des principaux pays responsables des pertes fiscales à l’échelle mondiale.

Le Canada perd au moins 6,6 milliards de revenus fiscaux par année à cause des tactiques d’évitement des grandes compagnies et de riches familles. Il se fait toutefois complice de pertes au moins trois fois plus lourdes dans le reste du monde.

Les gouvernements au Canada ont perdu l’équivalent de 5,3 milliards $US (6,6 milliards $CA) en 2020 en évasion et en évitement fiscaux internationaux à raison de 3,5 milliards $US (4,4 milliards $CA) en manœuvres comptables de la part d’entreprises, et de 1,8 milliard (2,2 milliards $CA) en impôt sur des avoirs planqués par de riches particuliers dans des paradis fiscaux, a rapporté mardi l’ONG spécialisée Tax Justice Network sur la base de données accessibles depuis peu sur le phénomène.

Les autres pays

 

Ces pertes de revenus fiscaux sont équivalentes à un peu plus de 180 $CA par Canadien ou à presque 4 % du budget de la santé, notent les auteurs de l’étude.

Mais ce n’est rien en comparaison des pertes fiscales que les autres pays subissent à cause des règles et pratiques au Canada. Les autres pays peuvent, en effet, attribuer au Canada la responsabilité de presque 18 milliards $US de pertes fiscales seulement sur le front de l’impôt des sociétés et de plus de 735 millions en évitement fiscal par leurs familles fortunées, pour un total de 18,7 milliards $US, ou 23,3 milliards $CAD.

Cette somme représente un peu moins de 4 % des 483 milliards $US de pertes fiscales documentées par les chercheurs du Tax Justice Network dans le monde l’an dernier.

Il vaudrait au Canada le 10e rang dans le triste palmarès des principaux pays responsables des pertes fiscales à l’échelle mondiale, derrière les îles Caïmans (1er avec 17,2 %), le Royaume-Uni (2e avec 14,1 %), Singapour (3e avec 6,3 %), le Luxembourg (4e), les Pays-Bas (5e), la Suisse (7e) et les États-Unis (8e), mais devant des paradis fiscaux bien connus, comme les Bermudes (11e avec 2,8 %), les Îles Vierges britanniques (14e avec 1,8 %) ou Panama (31e avec 0,5 %).

L’opinion de nous-mêmes

« Disons que ça vient changer l’opinion qu’on a l’habitude d’avoir de nous-mêmes », a observé en entretien téléphonique au Devoir William Ross, coordonnateur du collectif québécois Échec aux paradis fiscaux.

Ce rôle peu glorieux joué dans le monde par le Canada tient notamment, selon lui, à ses règles fiscales bien accommodantes dans le secteur minier ainsi qu’à ses nombreuses conventions fiscales bilatérales signées avec des paradis fiscaux pour éviter la double imposition, « mais qui tournent à la double non-imposition ».

Pour les entreprises étrangères, le Canada serait ainsi un bon endroit pour transférer artificiellement des profits, quitte à les déménager encore ensuite sous d’autres cieux pour payer moins d’impôts, explique-t-il.

Selon le rapport, ces petits jeux comptables ont ainsi fait sortir du Canada un peu plus de 13 milliards $US de bénéfices en 2020, mais en ont fait entrer cinq fois plus (67,5 milliards).

On ne dit pas si cela a permis au Canada d’engranger des revenus fiscaux qui auraient dû revenir aux gouvernements d’autres pays.

Les pays pauvres

 

Tous ces chiffres viennent des données agrégées recueillies en vertu d’une nouvelle règle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) obligeant notamment les grandes multinationales à rapporter, pays par pays, leurs revenus, leur nombre de travailleurs, leurs profits et leurs impôts versés.

Ces nouvelles données sont encore incomplètes et leur traitement est à se raffiner, a mis en garde le Tax Justice Network.

Selon le Fonds monétaire international, les pertes indirectes découlant des pratiques abusives des entreprises seraient au moins trois plus importantes que les pertes directes et dépasseraient donc les 1000 milliards par année. C’est dans les pays pauvres que ces pratiques font le plus dommage en proportion des revenus totaux de leurs gouvernements.

Jugeant insuffisantes les récentes avancées dans le domaine au G20 et à l’OCDE, William Ross constate néanmoins une volonté des gouvernements de s’attaquer au problème.

« La lutte contre les paradis fiscaux comprend trois volets : premièrement, la transparence et la traçabilité ; deuxièmement, la sanction des abus ; et, finalement, la récupération des recettes fiscales perdues. Le Canada est en retard dans les trois volets et le Québec un peu moins. Il ne faudrait pas laisser passer cette chance qui se présente. »

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