Des avions carboneutres prennent déjà leur envol

Sébastien Fabre, directeur général SITA for Aircraft
Photo: Sébastien Fabre Sébastien Fabre, directeur général SITA for Aircraft

Le secteur de l’aviation commerciale compte pour 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C’est peu, mais c’est aussi énorme, étant donné que seule une mince fraction de la population mondiale prend l’avion sur une base régulière. Pourtant, les solutions existent déjà pour rendre les avions beaucoup moins polluants qu’ils le sont présentement, sinon carrément carboneutres, foi de Sébastien Fabre, directeur général de SITA for Aircraft, une société parmi les plus méconnues et les plus influentes dans le ciel international.

SITA a été fondée par onze sociétés aériennes il y a 72 ans pour développer l’aviation civile internationale. L’organisation se divise aujourd’hui en trois entités : SITA at Airports fournit des outils d’enregistrement et de suivi des bagages des passagers. SITA at Borders aide à appliquer dans les aéroports les mesures de sécurité des gouvernements. SITA for Aircraft développe des solutions numériques pour optimiser l’expérience à bord des avions.

Du recours à la biométrie pour accélérer l’embarquement à l’utilisation de l’intelligence artificielle pour réduire la consommation de carburant, ces trois entités partagent une seule mission : faire passer l’aviation commerciale au 21e siècle, assure Sébastien Fabre.

L’aviation carboneutre

L’International Air Transportation Alliance, ou IATA, s’est fixé comme objectif de stopper l’augmentation de ses émissions polluantes au niveau de 2020, puis d’en réduire le volume graduellement jusqu’à l’atteinte de la carboneutralité en 2050. C’est un objectif ambitieux à première vue, mais qui peut être devancé par les lignes aériennes plus soucieuses de leur bilan environnemental, indique Sébastien Fabre.

« L’aviation atteindra la carboneutralité en réduisant ses émissions de trois façons. À l’heure actuelle, 40 % de l’effort viendra en réduisant la consommation des moteurs, ce qui se fera de différentes façons, notamment en introduisant des motorisations hybrides. Une autre tranche de 40 % de réduction se fera en échangeant les carburants actuels contre des carburants d’aviation durables (appelés “ SAF ” pour sustainable aviation fioul, en anglais bien sûr). Les 20 % restants viendront de l’optimisation des vols. C’est ce que fait déjà SITA for Aircraft. Par exemple, 5 % de la consommation des avions se fait lors de mouvements au sol. On peut presque éliminer cette proportion en optimisant ces déplacements. »

Un (meilleur) pilote dans l’avion

Durant un vol typique, il y a deux phases qu’il est possible de mieux prévoir pour rendre l’aviation moins polluante une fois dans les airs : lors du décollage et une fois atteinte l’altitude de croisière. Une meilleure gestion du décollage peut avoir un impact étonnant sur les GES émis par chacun des avions actuellement en activité dans le monde. Pour un Boeing 777 — un des modèles d’avions les plus utilisés dans le secteur commercial —, SITA for Aircraft calcule qu’elle peut réduire de 234 kilos la quantité de CO2 émise grâce à ses outils informatiques. Ce sont 230 tonnes de CO2 par an par avion qu’il est possible de retrancher du bilan mondial dès aujourd’hui, indique son directeur général.

« On peut ensuite tenir compte de façon plus précise de la météo — par exemple, la direction des vents — et de l’achalandage de l’aéroport à destination pour optimiser la vitesse et l’altitude de croisière. Nous pouvons ainsi réduire de 10 % la consommation moyenne d’un vol commercial. Nous pourrons le prouver grâce à un partenariat avec Bombardier puisque nos outils seront installés par défaut sur son nouveau Challenger 3500. Avec les optimisations lors du décollage, ce sont déjà 15 % des 20 % de réduction ciblés que nous pouvons obtenir maintenant, tout de suite. »

Reconnaissance faciale

 

Une des innovations présentes au nouveau terminal international de l’aéroport de Pékin est le recours à la reconnaissance biométrique pour accélérer l’enregistrement des passagers et de leurs bagages, puis leur passage à la sécurité et enfin leur embarquement. Tout ça peut désormais se faire sans rien en main à part son téléphone intelligent. Et même si plusieurs questions subsistent à propos de la gestion par ces systèmes des données personnelles, la technologie continue d’intéresser les transporteurs aériens. Le groupe Star Alliance, duquel fait partie Air Canada, a bien l’intention d’adopter la biométrie dans ses aéroports — ce qui comprend l’aéroport de Montréal — le plus tôt possible.

« Dans ce système, votre téléphone devient en quelque sorte votre télécommande. Vous vous enregistrez à partir de la maison et tout le reste ensuite est pris en charge. La technologie fonctionne déjà très bien. Le passeport vaccinal vient un peu compliquer les choses, mais on a créé une autre technologie qui l’intégrera au processus de façon transparente. Pour le traitement des données, c’est la même chose qu’on fait actuellement : SITA ne conserve aucune information confidentielle, elle se fie aux banques de données des sociétés aériennes ou du gouvernement, selon le cas. La seule limite à la mise en place de cette technologie est la capacité d’investir des sociétés aériennes et des aéroports, puisque cela exige de revoir l’espace attribué au dépôt des bagages et à l’enregistrement, entre autres. »

L’expérience de vol des passagers

Prendre l’avion est une expérience très particulière pour de nombreuses raisons et, mine de rien, cette expérience s’est grandement améliorée ces vingt dernières années. Les cartes d’embarquement imprimées en trois copies sont chose du passé. Le divertissement à bord s’est grandement adapté aux besoins des voyageurs. L’attente à l’aéroport est plus confortable. Et pourtant, prendre l’avion en 2021 demeure une activité éprouvante pour bien des voyageurs. La sécurité aéroportuaire, les correspondances serrées, les turbulences… L’industrie ne contrôle pas tout, mais peut quand même rendre l’expérience plus agréable, admet Sébastien Fabre.

« C’est toute l’industrie des transports qui est à se réinventer. Déjà, les passagers privilégient les moyens et longs courriers sans escale. En Europe, on a commencé à préférer le train pour les trajets les plus courts. Mais même pour les plus longs trajets, ce sont des vols directs dans de plus petits avions monocouloirs qui pourraient devenir la norme. »

En un clin d’oeil

Fondée en 1949
4500 employés dans le monde
350 employés au Canada
450 sociétés aériennes membres


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Quand verra-t-on l’aviation commerciale revenir à ses niveaux d’activité d’avant la pandémie ?

Je crois que nous allons revenir au niveau d’activité de 2019 à partir de 2024. Les voyages d’affaires sont encore affectés par les restrictions liées à la COVID. En fait, 19 des 25 plus grands aéroports dans le monde fonctionnent encore en ce moment à 25 % ou moins de leur niveau d’achalandage de 2019. La bonne nouvelle dans tout ça est que l’industrie en profite pour se réinventer. C’est réellement une occasion pour mettre en place une façon plus responsable de voyager.

- Sébastien Fabre



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