S’adapter aux réalités autochtones en entreprise

Pour inclure pleinement les populations autochtones à l’économie canadienne, les entreprises doivent apprendre à connaître la culture et les traumatismes des communautés, selon le consultant métis Lionel Drouin.
Après des années où les populations autochtones ont été volontairement marginalisées, les milieux d’affaires veulent faire partie des efforts de réconciliation. L’équipe de consultants de LDC Solutions donne d’ailleurs des formations de « sensibilisation culturelle » en entreprise depuis quelques années.
« Plusieurs compagnies ont une approche quantitative par rapport à l’inclusion. Ils peuvent cocher une case pour chaque personne [autochtone ou issue de la diversité] », rapporte le président, Lionel Drouin, membre de la nation métisse de Red Sky, dans le nord de l’Ontario.
Il faut aller beaucoup plus loin, croit M. Drouin, en adaptant les pratiques de ressources humaines. Par exemple, beaucoup de membres des Premiers Peuples sont plus à l’aise avec une structure où tout le monde a son mot à dire que dans une structure très hiérarchisée, dit-il.
« Certains gestionnaires vont utiliser la compétition pour motiver leurs équipes, mais ça peut sembler absurde pour des peuples autochtones, qui pensent davantage à la communauté qu’à l’individu », indique M. Drouin.
Il faut aussi prendre en compte le fait que les membres des Premiers Peuples sont nombreux à avoir subi des traumatismes, notamment en raison des pensionnats et de la rafle des années 1960.
« Mon ex-femme a été retirée à sa mère juste avant ses deux ans et placée chez un pasteur et sa femme. Des années plus tard, j’ai réussi à trouver sa mère. J’ai aussi découvert qu’elle avait un frère qui avait été déraciné. Mais je suis arrivé deux semaines trop tard, car il venait de s’enlever la vie », raconte M. Drouin. L’homme d’affaires raconte que sa propre famille a longtemps caché son identité autochtone pour éviter d’être discriminée.
Ces traumatismes ont engendré de nombreux problèmes sociaux qui ont maintenu certains Autochtones loin des écoles et du marché du travail. C’est sans compter que les villages ont souvent été établis loin des grands centres, ce qui force leurs habitants à s’exiler pour faire des études supérieures ou pour travailler. Il faudra d’abord régler ces problèmes avant d’espérer intégrer tout le monde dans l’économie, reconnaît M. Drouin.
Des pratiques de RH à réviser
Mais en attendant, les entreprisesdevraient analyser leurs politiques d’embauche pour relever des barrières systémiques, estime le consultant. En commençant par les exigences de diplômes. « Il faut être ouvert à trouver des équivalences, à investir pour former les travailleurs », avance M. Drouin.
Selon lui, les cultures autochtones ont également tendance à valoriser l’humilité, ce qui peut défavoriser les candidats lors d’entretiens d’embauche, où les employeurs s’attendent à ce qu’ils « se vendent ».
M. Drouin estime que la révision de ces pratiques finirait par être bénéfique pour le bien-être de tous les travailleurs.
Certaines entreprises sont déjà engagées dans ce genre de démarches, surtout celles qui ont des projets à proximité de communautés autochtones précises. M. Drouin cite en exemple la compagnie ferroviaire Canadien National et la pétrolière Suncor. Des occasions d’affaires sont d’ailleurs créées par les nombreux projets d’infrastructures annoncés par le gouvernement fédéral dans les villages autochtones.
LDC Solutions participe à un programme du Conseil canadien pour l’entreprise autochtone qui vise à guider les entreprises qui souhaitent développer des relations privilégiées avec des communautés. « Elles doivent apprendre à les connaître afin de travailler avec elles. Car toutes les communautés sont différentes, souligne-t-il. Il faut vraiment établir un lien de confiance, parce que, trop souvent, des compagnies affirmant être des amies sont arrivées, se sont approprié les ressources et sontparties en laissant un gâchis, sans qu’il y ait de bénéfices pour la communauté. »
Toutes les entreprises canadiennes auraient intérêt à accorder de l’importance à ces questions. Premièrement, avec la démocratisation du télétravail, beaucoup d’entreprises peuvent à présent recruter des travailleurs directement dans les communautés autochtones, quel que soit leur emplacement géographique.
Deuxièmement, souligne M. Drouin, favoriser une diversité des voix ne peut qu’être enrichissant et stimuler des idées nouvelles. Finalement, la population autochtone, qui est jeune et qui a un taux de croissance plus élevé que la moyenne québécoise et canadienne, a le potentiel de réduire la pénurie de main-d’œuvre. Statistique Canada prévoit qu’elle dépassera 2,5 millions de personnes au cours des deux prochaines décennies.
Alors qu’on vient de célébrer la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, M. Drouin constate avec espoir que les Premières Nations, les Inuits et les Métis, enfin, ne sont plus ignorés.