Pénurie de main-d'œuvre: le secteur manufacturier québécois aurait perdu 18 milliards en deux ans

La pénurie de main-d’œuvre a fait perdre 18 milliards de dollars en deux ans aux entreprises manufacturières du Québec. C’est ce qu’estime l’organisme Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) à l’issue d’une tournée de consultations et d’un sondage dont les résultats ont été présentés mardi.
Le manque d’opérateurs, de soudeurs, de machinistes, d’assembleurs, de mécaniciens et d’ingénieurs, entre autres, freine la quasi-totalité (98,5 %) des entreprises de fabrication de biens. Elles ont souvent perdu des contrats, ont subi des pénalités de retard de livraison et ont dû réduire leur production.
« De semaine en semaine, les délais de livraison doivent s’allonger. On a une incapacité de répondre aux besoins de nos clients, et ça les force à regarder des fournisseurs ailleurs », a témoigné Sylvain Garneau, président et chef de la direction du Groupe Lacasse. Cette entreprise de fabrication de mobilier se trouve dans l’impossibilité de pourvoir une soixantaine de postes à son usine de Saint-Hyacinthe.
Certaines compagnies songent à déménager leur production dans des pays où la main-d’œuvre est plus disponible, a indiqué Véronique Proulx, présidente-directrice générale de MEQ. L’organisme a rencontré 110 entreprises manufacturières et a obtenu les réponses de plus de 400 entreprises à son sondage en mai et juin dernier, sur un total d’environ 13 000 au Québec, puis a extrapolé des chiffres pour l’ensemble du secteur.
Les régions les plus touchées sont la Montérégie et le Bas-Saint-Laurent, où les entreprises auraient perdu respectivement 5,2 et 3,5 milliards de dollars, selon l’estimation de MEQ. Il s’agit de « régions manufacturières fortes, avec de grandes entreprises bien établies », où le bassin de travailleurs est moins grand, selon Mme Proulx.
« On espère que ça va donner un électrochoc au gouvernement. Ce n’est pas juste anecdotique, c’est dans la plupart des entreprises, partout à travers le Québec », a-t-elle déclaré.
MEQ réclame une série de mesures au gouvernement du Québec, à commencer par une hausse des seuils d’immigration économique et temporaire, accompagnée d’une réduction des délais de traitement des dossiers. « Il n’y a pas une entreprise qui ne m’a pas parlé d’immigration. C’est un incontournable », a affirmé Mme Proulx.
L’organisme demande aussi un appui pour l’automatisation et la robotisation des usines. M. Garneau a toutefois averti que cette solution ne peut pas régler le problème à elle seule, puisque du personnel spécialisé est aussi nécessaire pour faire fonctionner les robots. Or, cette expertise se trouverait surtout à l’extérieur du Québec.
Mme Proulx juge que les salaires ne sont pas au cœur du problème de recrutement, notamment puisque près de la moitié des postes recherchés offrent entre 20 $ et 29 $ l’heure. « Recruter, c’est comme aller à la pêche dans un lac vide », a-t-elle imagé.
Il y avait 25 330 emplois vacants dans le secteur de la fabrication au Québec au deuxième trimestre de 2021, selon Statistique Canada. Il s’agit d’une hausse de 8905 postes comparativement au quatrième trimestre de 2019, avant la pandémie. MEQ demande au gouvernement du Québec de tout mettre en œuvre pour revenir au niveau prépandémique d’ici un an.
Le Canada, mais plus le Québec
Les difficultés de main-d’œuvre n’affligent pas que le secteur manufacturier et le Québec, rapporte de son côté la Banque de développement du Canada (BDC) dans une étude publiée mercredi. C’est toutefois au Québec que la situation est la plus criante.
Recruter, c’est comme aller à la pêche dans un lac vide.
Selon l’étude intitulée Comment s’adapter à la pénurie de main-d’œuvre. Les difficultés d’embauche sont là pour rester, 60 % des entreprises québécoises éprouvent des difficultés à embaucher, comparativement à une moyenne canadienne de 55 %. Les secteurs manufacturier et du commerce de détail et de gros arrivent ex aequo au deuxième rang des industries les plus en difficulté sur ce plan, après celui du transport et de l’entreposage. La BDC estime qu’il serait possible d’intégrer davantage de jeunes et d’immigrants en emploi. « Il y a d’importants groupes de personnes sous-utilisées qui pourraient se joindre à la population active ou être plus largement employés », indique l’étude.
Un bilan dénoncé
Mardi, le Parti libéral du Québec (PLQ) a vivement dénoncé ce qu’il qualifie de « bilan caquiste » en matière d’économie. « Qu’est-ce que le premier ministre a à dire aux employeurs qui cherchent désespérément de la main-d’œuvre ? » a lancé la cheffe libérale, Dominique Anglade, lors de la période de questions à Québec.
D’après François Legault, la situation économique s’est pourtant améliorée depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec. Il a critiqué au passage les positions du PLQ et de MEQ en matière d’immigration. « Les manufacturiers et le Parti libéral veulent augmenter le nombre d’immigrants, a indiqué le premier ministre. Nous, on pense que le Québec a atteint sa capacité. »
Le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, a invité les manufacturiers à miser plutôt sur l’automatisation et l’augmentation de la formation. « Notre gouvernement est là pour épauler les entreprises dans cette transition », a écrit par courriel son attachée de presse, Maude Méthot-Faniel.
Rappelons que le gouvernement du Québec, en 2019, a fait passer sa cible d’immigration permanente d’environ 50 000 à 40 000. Or, en 2020, la pandémie a fait baisser le nombre d’admissions à 25 223. Le Plan d’immigration du Québec pour l’année 2021 vise l’admission permanente de 44 500 à 47 500 personnes, en plus d’un rééquilibrage avec 7000 personnes supplémentaires.
Avec François Carabin