Déconfiture chez les producteurs québécois de bleuets

L’industrie québécoise des bleuets connaît sa pire année en une décennie. Jusqu’à 90 % des récoltes de certaines bleuetières ont été perdues à cause d’un printemps hâtif, de gels tardifs et de sécheresses estivales, faisant bondir les réclamations d’assurance à la Financière agricole.

Il est trop tôt pour chiffrer avec précision les pertes, explique le président du Syndicat des producteurs de bleuets du Québec, Daniel Gobeil. Joint sur son tracteur, l’agriculteur reconnaît que « l’année a été particulièrement difficile ».

Lui-même a perdu « plus de 90 % » de sa récolte, confie-t-il, précisant que le printemps précoce a fait fleurir les plantes plus tôt qu’à l’habitude. « Et en mai, ç’a été suivi par des gels successifs de plusieurs heures », dit-il. 

Ces gels sont survenus à un moment charnière où les fleurs s’ouvrent et sont pollinisées par les abeilles. À cela se sont ajoutées des périodes de sécheresse au cours de l’été, raconte-t-il. « Je dirais que c’est environ 75 % des récoltes qui ont été perdues », estime pour sa part Dany Morin, coordonnateur à la direction du syndicat. Les bleuetières du Saguenay–Lac-Saint-Jean ont particulièrement été affectées. « Pour le moment, ça semble se dérouler correctement sur la Côte-Nord, où la cueillette se fait quelques semaines plus tard », précise-t-il.

À cause d’un effet domino, toute la chaîne de production en subit les contrecoups. Le transformateur Bleuets sauvages du Québec a reçu « environ 40 % » du volume de petits fruits bleus de l’an dernier, note son président, Jean-Pierre Senneville. L’approvisionnement en bleuets cultivés dans d’autres régions, dont dans les provinces de l’Atlantique, semble par contre avoir sauvé la mise.

90%
Ce sont les récoltes perdues de certaines bleuetières vu un printemps hâtif, des gels tardifs et des sécheresses.

Les pertes des producteurs se sont toutefois immédiatement traduites par une augmentation des réclamations à la Financière agricole. L’assurance récolte de l’organisation rembourse les pertes estimées d’une récolte lorsque celles-ci dépassent 20 % du volume de la production habituelle.

Cette année, l’ensemble des producteurs de bleuets assurés de la Financière agricole « ont enregistré des avis de dommages », indique au Devoir Yves Lefebvre, directeur régional de l’organisation pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean.

« Jusqu’à présent, on a versé 5,3 millions de dollars [en indemnisations] », note M. Lefebvre, tout en précisant qu’un tiers des réclamations doivent être traitées dans les prochains jours.

Un marché qui a bien changé

 

L’économiste Gilbert Lavoie, cofondateur de la firme de consultants spécialisés en agriculture Forest Lavoie, explique que le marché du bleuet a évolué au cours des 10 dernières années.

Le volume de production était de 210 millions de livres il y a 10 ans, dont près de 30 % provenaient du Québec. « Mais entre 2014 et 2016, la production a augmenté considérablement », dit-il. En 2016, les producteurs ont récolté 410 millions de livres de bleuets, dont 126 millions au Québec, ce qui représente près du double de la production habituelle.

Cette hausse de l’offre a permis de développer les marchés nord-américains, européens et japonais, stimulant du coup la demande.

Or, en 2018, les aléas de la température ont affecté la production dans les provinces de l’Atlantique, réduisant la quantité de bleuets disponibles sur les marchés. Résultat : les réserves de bleuets congelés jusqu’alors accessibles ont chuté. « Cette fois, c’est le Québec qui a été frappé », constate-t-il, indiquant que la réserve a été réduite à peau de chagrin.

Comment pourrait-on assurer une meilleure gestion des stocks du petit fruit bleu ? Les acteurs de l’industrie y réfléchissent. L’une des avenues qui pourraient être explorées serait la mise en place d’une «réserve stratégiques» de bleuets congelés, selon M. Lavoie.

Cette stratégie permettrait d’entreposer des bleuets lors des années où la production est élevée pour s’assurer de pouvoir répondre à la demande lorsque le volume des récoltes dégringole.

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