Aux urnes pour poser l’économie de demain?

Si le but de ces élections fédérales était, comme on l’a dit, de jeter les bases de l’économie canadienne de l’ère post-COVID, on risque d’être déçu.
C’est la réponse que le premier ministre libéral, Justin Trudeau, sert depuis le début de la campagne à ceux qui lui reprochent d’avoir déclenché des élections anticipées en pleine pandémie. C’est aujourd’hui, dit-il, et pas dans deux ans, ni même dans six mois, que les décisions importantes se prennent sur le pays que les Canadiens veulent au sortir de la crise, notamment en matière économique.
D’abord, entendons-nous bien. Bien que l’ampleur de la crise se soit atténuée, elle n’est pas terminée, a répété la semaine dernière le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem. « La reprise reste en dents de scie, le virus est toujours présent et l’évolution de la pandémie est incertaine. » Aussi, a-t-il dit, ce n’est pas encore le temps de retirer les mesures exceptionnelles déployées pour soutenir l’économie et il n’y a pas lieu de trop s’en faire, pour le moment, avec l’augmentation de l’inflation des derniers mois essentiellement attribuable à « des circonstances uniques créées par la pandémie ».
Les politiciens en campagne semblent l’avoir bien compris. Aucun des principaux partis politiques fédéraux, pas même les conservateurs, ne propose une réduction du niveau de dépenses actuelles, du moins pas avant 2024, constatait mercredi la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Le retour à l’équilibre budgétaire n’est pas dans leurs cartons non plus, pas même dans ceux des conservateurs, du moins pas avant une dizaine d’années.
On promet cependant une diminution constante des déficits ainsi que du poids relatif de la dette, ce dernier ayant bondi, à Ottawa, de 31 % à 49 % du produit intérieur brut (PIB). Venant avec 78 milliards de nouvelles dépenses sur cinq ans, 25 milliards de nouveaux revenus et un coussin de 15 milliards pour parer aux imprévus, la plateforme libérale apparaît la plus crédible financièrement à l’ancien Directeur parlementaire du budget Kevin Page, aujourd’hui président de l’Institut des finances publiques et de la démocratie. Plus loin derrière, les conservateurs (51 milliards de nouvelles dépenses) obtiennent malgré tout la note de passage en dépit de l’absence de coussin financier et de leurs choix de repousser le plus tard possible le moment prévu de l’augmentation des transferts promise aux provinces ainsi que le moment de trouver la façon de la financer. Les néodémocrates (215 milliards de nouvelles dépenses et 166 milliards de nouveaux revenus) obtiennent une note plus faible encore en raison du peu d’attention accordé aux problèmes de financement et aux conflits avec les provinces que des projets aussi « ambitieux » qu’une assurance médicaments, un revenu minimum garanti pour les personnes handicapées ou un impôt sur les fortunes pourraient soulever. Le programme du Bloc québécois n’a pas été évalué.
Promesses d’une autre époque
Ce que les trois principaux partis fédéraux ont en commun, c’est de promettre la création d’un million d’emplois durant leur premier mandat. Ce ne serait pas un grand exploit, s’est moqué le mois dernier le chroniqueur du Globe and Mail David Parkinson, avant d’expliquer que l’économie canadienne aurait très bien pu s’en charger toute seule, ce chiffre correspondant, grosso modo, aux emplois temporairement perdus ou qui auraient normalement été créés durant la crise.
Cela ne fait pas rire l’Institut du Québec. Ces promesses de création d’emplois sont symptomatiques d’une vision complètement dépassée de la réalité, a-t-il déploré mercredi dans une analyse des plateformes électorales. Aux prises avec un problème de plus en plus aigu de rareté de main-d’œuvre, l’économie canadienne (et particulièrement québécoise) a surtout besoin qu’on apprenne à utiliser les rares travailleurs disponibles de la meilleure façon possible. Cela signifie prioriser les secteurs économiques les plus porteurs et améliorer leur productivité. Cela implique aussi des mesures énergiques de formation et de requalification de la main-d’œuvre pour ne pas rater le virage de l’automatisation et des nouvelles technologies et ne surtout pas perdre de travailleurs en chemin.
Or, « dans les plateformes des différents partis, on trouve certes quelques engagements qui pourraient faire une différence, mais ils sont généralement trop timides face à l’urgence d’agir et l’ampleur des enjeux », déplore l’IdQ. Si les plateformes libérale et bloquiste « montrent la meilleure compréhension des enjeux de main-d’œuvre, elles ne présentent aucune modernisation de la vision économique et ne proposent rien de nouveau sur ces enjeux », ajoute-t-on plus loin.
Ce qui ne veut pas dire qu’on a tout faux. Il a notamment été largement question de l’amélioration de l’accès aux services de garde durant la campagne, un facteur susceptible, entre autres, d’augmenter le taux de participation des femmes aux marchés du travail.
L’économie climatique
Plusieurs experts et simples citoyens auraient voulu aussi que les enjeux climatiques occupent plus de place dans la campagne électorale alors qu’approche de plus en plus rapidement l’échéance qu’on s’est fixée de l’atteinte de la carboneutralité pour 2050.
À ce chapitre, les partis politiques ne présentent pas le même niveau d’ambition. Du côté des conservateurs, on revient, par exemple, à l’ancienne cible du gouvernement Harper d’une réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à leur niveau de 2005 d’ici 2030 tout en se ralliant à l’idée d’une sorte de tarification du carbone qui ne dépasserait pas 50 $ la tonne. Les libéraux visent, sur le même horizon, une réduction de GES de 40 à 45 % et un prix du carbone qui atteindrait 170 $, alors que les néodémocrates promettent 50 % de réduction et le Parti vert 60 %, avec la tonne de GES à 570 $.
Si les plans le plus ambitieux sont généralement les plus chers pour l’économie — du moins à court terme —, ils ne sont pas toujours les meilleurs, même pour l’environnement, a expliqué Mark Jaccard, un économiste de l’Université Simon Fraser et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans une analyse publiée au début du mois dans la revue Options politiques. Comme les politiciens ont la manie d’entretenir un flou artistique autour de leurs promesses les plus coûteuses et que certains moyens de lutte (comme la tarification du carbone et la réglementation) s’avèrent plus efficaces que d’autres, il est essentiel d’examiner en détail les mesures concrètes mises en avant, y disait l’expert, avant de conclure que ce sont les libéraux qui ont le meilleur plan à ce chapitre, ce que Justin Trudeau n’a pas manqué répéter lors des débats des chefs.
« Méfiez-vous des politiciens qui promettent que quelqu’un d’autre payera la décarbonisation de notre économie, prévient Mark Jaccard. Nous devons tous payer. Mais ça vaut le coup. »
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