Encore sans emploi en raison de la pandémie

Manuel Zerlauth
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Manuel Zerlauth

L’économie canadienne reprend du poil de la bête. Et de l’avis de certains commerçants, les programmes d’aide pandémiques ont maintenant fait leur temps. Mais dans plusieurs domaines — l’aviation, le tourisme ou la culture, par exemple —, bien des travailleurs sont toujours privés de leur gagne-pain. Quels sont leurs besoins, alors que l’avenir de la subvention salariale d’urgence (SSUC) et de la Prestation canadienne de relance économique (PCRE) est en jeu ? Le Devoir en a rencontré trois.

Manuel Zerlauth, pilote de ligne : en attente depuis 17 mois

Pilote d’avion depuis plus de 20 ans, Manuel Zerlauth amenait jusqu’à l’an dernier des voyageurs québécois vers des destinations soleil. Il a transporté ses derniers passagers le 6 avril 2020.

Ces 17 derniers mois, le pilote de ligne a pu recevoir une partie de son salaire grâce au programme de subvention salariale, qui a pu être jumelé à la PCRE, qui offrait 1000 $ par période de deux semaines et qui offre maintenant 600 $. Malgré tout, il a dû effectuer de petits boulots, comme des livraisons pour Uber, afin de payer ses dépenses courantes. « J’ai dû piocher dans mes économies, admet-il. Sans ça, j’aurais dû déménager dans un autre quartier. »

C’est que le budget de M. Zerlauth compte certaines dépenses fixes que son salaire de pilote lui permettait d’avoir : un logement à Outremont, une voiture louée, l’école privée de sa fille adolescente. « On veut bien couper, mais ce n’est pas toujours possible. L’entreprise qui me loue ma voiture, par exemple, ne permet pas de briser le contrat. Et les loyers ont augmenté dans le quartier, dit-il. Est-ce que j’ai envie de dire à ma fille qu’elle doit changer d’école ? »

Il s’estime quand même plus chanceux que certains de ses collègues, qui ont par exemple dû vendre leur maison.

D’un mois à l’autre, il espérait que les vols internationaux redécollent. Et bien que la compagnie aérienne qui l’employait ait annoncé leur retour cet été, la remontée des cas de COVID-19 lui a mis du plomb dans l’aile : il y a deux semaines, M. Zerlauth et de nombreux collègues ont été mis à pied de façon définitive, puisque la SSUC a pris fin pour les employés en congé payé. Il affirme qu’il devra maintenant se tourner vers l’assurance-emploi, qu’il juge moins avantageuse que la PCRE s’il souhaite boucler son budget avec de petits boulots.

Dans l’impasse, M. Zerlauth se demande maintenant s’il doit changer de carrière. « À 54 ans, on peut changer de job. Mais [le métier de pilote], c’est ce que j’aime faire, ce dans quoi j’ai de l’expérience. »

Le pilote croit que le gouvernement devrait prolonger son aide aux travailleurs et aux entreprises de certains secteurs d’activité. Plusieurs compagnies aériennes canadiennes, de même que des syndicats du secteur, réclament d’ailleurs le maintien de la subvention salariale d’urgence jusqu’au véritable retour à la normale. Air Transat, par exemple, ne compte présentement que 30 % de ses effectifs d’avant la pandémie ; chez Air Canada, ce taux est d’environ 50 %.

Cécilia Kiavué, travailleuse autonome : la PCRE au service de la créativité

Au printemps 2020, les contrats en design graphique, illustration et direction artistique se sont faits de plus en plus rares pour Cécilia Kiavué. Celle qui se décrit comme très active, travaillant sur plusieurs contrats à la fois, a dû se résigner à faire appel à la Prestation canadienne d’urgence (PCU), puis à la PCRE. Mais ce fut pour la Montréalaise une occasion unique de développer un projet qui lui tenait à cœur.

Le propriétaire de son logement, qui n’arrivait pas à louer un local commercial du Village en raison de la pandémie, lui a proposé d’y exposer ses œuvres. Avec l’aide de voisins, le projet s’est transformé en quelque chose de plus grand : l’espace culturel événementiel La P’tite Porte. « Le concept est de porter main-forte aux créatifs, qui sont particulièrement touchés par la crise », explique-t-elle.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir

Cécilia Kiavué

Des artistes et artisans en tout genre peuvent louer le très beau local aux murs de briques pour divers événements, comme des expositions ou des lancements. Près de l’entrée se trouve une porte par laquelle pourrait seulement passer un lapin pressé tenant une montre. « On ne dit pas ce qu’il y a derrière, pour garder le mystère », dit-elle. Un premier événement a eu lieu en juin, et l’endroit est déjà réservé pour plusieurs dates cet automne.

Mme Kiavué a investi beaucoup d’heures dans l’aménagement des lieux, le logo, le développement de partenariats, etc. Elle estime qu’elle n’aurait jamais eu le temps de développer ce projet si elle avait dû jongler avec plusieurs emplois. « Une aide extérieure comme la PCRE, ça permet une liberté de créer, d’entreprendre. C’est normal que ça ait une fin, mais je crois qu’une réflexion est nécessaire sur un salaire universel, un soutien qui permettrait à des gens comme moi de monter des projets », plaide-t-elle.

Récemment, une coalition d’associations québécoises du secteur culturel a réclamé la création d’un « programme transitoire de supplément de revenu » pour les travailleurs qui « continuent à faire face aux défis économiques causés par la pandémie ». De son côté, la p.-d.g. de Travailleurs autonomes Québec, Caroline Bédard, constate que plusieurs travailleurs autonomes ont encore recours à la PCRE, notamment dans le domaine des arts et de l’événementiel. Ces gens seront dans une situation précaire si la PCRE prend fin comme prévu à la fin octobre, considère-t-elle.

Pour le moment, alors que les contrats en graphisme font un retour « tout doux », Mme Kiavué bénéficie toujours de la PCRE. Elle a toutefois postulé à un emploi en design de l’environnement, et elle espère devenir salariée tout en travaillant dans ses temps libres à l’épanouissement de La P’tite Porte.

Angel Mota, guide touristique : un avenir incertain

Depuis 15 ans, Angel Mota guidait des touristes hispanophones et italiens lors de voyages organisés au Canada. Ceux-ci étant pratiquement inexistants depuis le début de la pandémie, le père de famille s’est retrouvé avec un horaire complètement vide. « Je me rends compte que je dois me recycler. Mais dans quoi ? » se demande-t-il.

Le quinquagénaire dit avoir envoyé des dizaines de fois son CV dans l’espoir d’obtenir un emploi de bureau, de recherche ou de rédaction, notamment, sans recevoir de réponse. « J’ai même postulé pour travailler à la réception d’hôtels ou à l’accueil d’un restaurant. Mais je n’ai aucune expérience là-dedans. Il y a sans doute des emplois en tourisme en région, mais je ne peux pas tout laisser pour déménager », dit-il. Depuis le début de la pandémie, il n’a trouvé que deux contrats de deux mois comme animateur dans un musée pendant l’été. Il a bénéficié tour à tour de la PCU, de l’assurance-emploi et maintenant de prestations de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST) après une chute à vélo survenue dans le cadre de son contrat estival. Puisque la PCRE touche à sa fin, il se croise les doigts pour être admissible à l’assurance-emploi dans les prochaines semaines.

Photo: Adil Boukind Le Devoir

Angel Mota

M. Mota a bien peur de ne jamais retrouver son emploi de guide accompagnateur. Est-ce que les touristes vont de nouveau vouloir se masser dans des autobus pour découvrir un pays étranger ? Rien n’est moins sûr. « C’est très déprimant, je suis une personne active, je déteste être là à ne rien faire », se désole-t-il.

Il croit que le gouvernement devrait encourager le retour des touristes internationaux — ou alors aider davantage les entreprises qui ont besoin de leur présence.

Du côté de l’Alliance touristique du Québec, on souligne qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre dans les hôtels, les restaurants et les activités touristiques un peu partout au Québec. Son p.-d.g., Martin Soucy, réclame donc la fin de la PCRE pour favoriser le recrutement. Il reconnaît toutefois que des régions comme Montréal dépendent davantage de la clientèle internationale. « La subvention salariale d’urgence, qui vient aider des entreprises à embaucher, donne du souffle en attendant que les frontières et les touristes internationaux reviennent à leur plein potentiel et que le tourisme d’affaires reprenne. C’est plus des mesures de création d’emplois qui sont importantes », croit-il.

Ce qu’en disent les partis fédéraux

Le nombre de demandes de PCRE par période de deux semaines au Québec a diminué entre le début janvier et la fin juin 2021, passant de 226 910 à 128 670. Les divers partis en lice à l’élection fédérale ont des intentions différentes à l’égard du maintien de la prestation.

Le Nouveau Parti démocratique propose de la conserver jusqu’à la fin de la pandémie, et même de la faire passer de 1200 $ à 2000 $ par mois.

Le Bloc québécois souhaite son abolition immédiate, sauf dans certaines industries comme la culture, le tourisme et l’aérospatiale.

Le Parti conservateur dit vouloir remplacer la PCRE et la SSUC par son plan Hausse d’emplois du Canada, « payant jusqu’à 50 % du salaire des nouveaux employés pendant six mois après la fin de la SSUC ».

Le Parti libéral a fait valoir qu’il mettrait en place plusieurs programmes, dont des mesures d’urgence pour les artistes, une nouvelle prestation d’assurance-emploi dès janvier 2023 pour les travailleurs autonomes et une prolongation jusqu’en mars 2022 du Programme d’embauche pour la relance économique du Canada.

Il n’a pas été possible d’obtenir de détails sur la position du Parti vert sur cette question.

À voir en vidéo