Pierre Karl Péladeau veut une intervention du fédéral pour la concurrence

Le p.-d.g. de Vidéotron, Pierre Karl Péladeau
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le p.-d.g. de Vidéotron, Pierre Karl Péladeau

Malgré les récentes tentatives de croc-en-jambe de Bell et Telus, le grand patron de Québecor réitère sa « ferme intention » de devenir le quatrième grand opérateur national de réseau sans fil. Pierre Karl Péladeau, qui est aussi p.-d.g. de Vidéotron, souhaiterait voir le fédéral aider au processus, car sinon, cela risque d’être plus long que prévu, admet-il dans une entrevue au Devoir.

L’homme d’affaires affirme que « c’est peine perdue » d’imaginer que le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique reviendra en arrière sur sa volonté — affirmée à plusieurs reprises — de faire émerger un nouveau fournisseur pancanadien de services sans fil. Des spectres de fréquences ont été réservés aux nouveaux entrants justement à cette fin lors d’enchères tenues en juin et juillet derniers.

Vidéotron est, selon des analystes, le mieux placé pour devenir ce quatrième joueur. L’exploitant possède déjà une infrastructure réseau régionale. Il pourra l’étendre à l’ensemble du pays grâce aux fréquences acquises par enchères et en empruntant les réseaux de Bell, Rogers et Telus puisque Vidéotron se qualifie également pour devenir un exploitant de réseau virtuel.

L’exploitant a aussi en poche une entente avec Samsung pour développer la 5G et parle à d’autres fournisseurs de l’industrie qui rendraient le déploiement national d’un réseau de cinquième génération « moins intense » que ce l’était quand il a bâti son réseau actuel au Québec, il y a une douzaine d’années.

« Tout le monde souhaite plus de concurrence », assure-t-il. « Les prix du sans-fil sont élevés et ça se justifie [par la géographie du Canada], mais il y a des limites. On veut démarrer rapidement, mais les titulaires dans le sans-fil créent beaucoup de blocages. Et quand le marché est contrôlé par un petit groupe d’entreprises, la question devient politique. »

Demande de blocage

 

Pierre Karl Péladeau souhaite que le fédéral s’intéresse de plus près à la question de la concurrence dans le sans-fil.

Il n’est pas le seul. Mardi dernier, Bell et Telus ont demandé à Ottawa de bloquer l’achat par Québecor de certains spectres de fréquences dans l’ouest du pays, alléguant qu’il ne répondait pas aux exigences du gouvernement qui lui permettaient de participer aux enchères sur ces fréquences. Selon Bell, Québecor n’a pas d’infrastructures à l’extérieur du Québec et ne devrait pas être considéré comme un fournisseur régional ailleurs que dans cette province.

M. Péladeau a répliqué en indiquant que Fibrenoire, une filiale du groupe Vidéotron qui fournit des services Internet aux entreprises, faisait déjà des affaires hors Québec.

Il a tenté plus tôt cette semaine, sur Twitter, de susciter lui-même l’intérêt de la classe politique quand il a apostrophé les premiers ministres provinciaux de l’ouest du pays pour leur montrer comment les prix de Bell sont plus bas quand Vidéotron est présent. L’homme d’affaires montréalais a publié sur son fil une comparaison de publicités de Bell diffusées à Montréal, à Toronto et à Calgary ; le prix d’un forfait sans fil passe de 45 $ à Montréal à 55 $ par mois dans le reste du pays.

Cette différence à l’avantage des consommateurs montréalais est attribuable à la présence de Vidéotron, croit Pierre Karl Péladeau.

Réglementation stricte réclamée

 

Convaincre les politiciens fédéraux de se prononcer sur le coût des services de télécommunications n’est pas si simple. Durant la campagne électorale fédérale d’il y a deux ans, les libéraux avaient promis une baisse de 25 % de la facture mensuelle des consommateurs canadiens d’ici 2023. Promesse qui n’a pas été entièrement réalisée sous leur gouvernement, au moment où ils ont déclenché les présentes élections.

Ce coup-ci, aucune nouvelle promesse ne figure au programme du PLC. En fait, la question du prix des services de télécommunications n’est mentionnée nulle part dans la plateforme libérale. En guise de comparaison, le Nouveau Parti démocratique s’est engagé à réduire la facture de services de télécommunications. De leur côté, les conservateurs et le Bloc sont surtout préoccupés par la question de la concurrence de sociétés étrangères dans le numérique, comme Netflix et Amazon.

Des dizaines de petits fournisseurs de télécoms ont récemment ouvertement critiqué le parti de Justin Trudeau, concluant qu’il a tout simplement abdiqué devant les demandes de Bell, Rogers et Telus.

Ceux-ci préfèrent voir le gouvernement réglementer plus sévèrement le marché canadien afin de limiter l’intrusion de rivaux étrangers comme Netflix et Amazon, plutôt que de se faire imposer des contraintes tarifaires, explique le directeur de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’Internet et du commerce électronique et professeur à l’Université d’Ottawa, Michael Geist.

« La politique numérique du gouvernement [libéral] est calculée de longue date pour aller chercher des votes au Québec, au risque de frustrer les électeurs du reste du Canada », écrit-il sur son blogue. Pourtant, la question du prix de l’accès à Internet en est une qui irrite les consommateurs partout au pays. « La plateforme libérale s’appelle Avançons ensemble, mais les consommateurs n’avanceront pas aussi rapidement que les géants des télécoms. »

D’autres critiques montrent du doigt les liens intimes qui existeraient entre Bell et le Parti libéral du Canada. Le fournisseur ontarien de services Internet TekSavvy rappelle qu’avant d’être à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec, l’actuel sous-ministre des Finances, Michael Sabia, a été de 2002 à 2008 président de Bell Canada.

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