L’inflation sera-t-elle un enjeu électoral de taille ?

Autrefois un sujet de conversation et de préoccupation constant, l’inflation n’intéressait plus personne depuis longtemps. Mais en forte accélération depuis quelques mois, la hausse du coût de la vie est redevenue un sujet d’inquiétude en dépit des propos rassurants des experts.
On a tous un vieil oncle qui se plaît à rappeler, de temps à autre, cette époque terrible où l’inflation était telle que les taux d’intérêt des hypothèques frôlaient les 20 % et que l’idée de limiter la croissance des salaires à 10 % par année semblait une invitation à l’émeute. Toutefois, 30 ans de politique de ciblage de l’inflation par les banques centrales, de croissance économique relativement molle et de mondialisation du commerce ont depuis longtemps ancré dans les esprits que l’augmentation normale des prix et des salaires dépassait rarement 2 %, du moins jusqu’à ce jour.
Bien qu’encore loin des niveaux atteints durant les années noires de la stagflation des années 1970, la hausse de l’indice des prix à la consommation (IPC) rapportée par Statistique Canada mercredi s’élevait à 3,7 % (4,1 % au Québec) pour les 12 mois allant de juillet 2020 à juillet 2021. On n’a pas vu cela depuis 2011 et c’est la première fois que l’IPC dépasse les 3 % quatre mois consécutifs depuis le début de sortie de la Grande Récession de 2008-2009.
Plus de la moitié des biens et services entrant dans le panier de consommation de l’IPC affichait une croissance annuelle des prix supérieure à 3 %. Ceux qui ressortaient le plus du lot étaient le prix de l’essence (+31 %) et les coûts liés à l’achat d’une maison neuve (+13,8 %), ces derniers connaissant leur plus forte hausse depuis 1987, mais aussi le prix des voitures (+5,5 %), des meubles rembourrés (+13,4 %) ou encore des aliments achetés au restaurant (+3,1 %). À l’inverse, le coût de l’intérêt hypothécaire (–9 %), des services de téléphonie (–13,7 %), des assurances automobiles (–6 %), des légumes frais (–7,5 %) ou encore du transport aérien (–8 %) a tiré les prix vers le bas.
Inquiétude des électeurs
Cette hausse du coût de la vie pourrait devenir l’un des grands enjeux de la campagne électorale qui vient de se mettre en branle au Canada, à en croire un sondage Abacus réalisé pour le compte de l’Institut Broadbent et dévoilé la semaine dernière. Plus de quatre Canadiens sur cinq s’y disent au moins « un peu » inquiets devant l’augmentation du coût de la vie, et la moitié d’entre eux se disent « plutôt », voire « très » inquiets. Cette inquiétude n’est pas nouvelle et était même légèrement plus prononcée il y a deux ans, note Abacus. La hausse du coût de la vie est également l’un « des trois principaux enjeux électoraux » les plus souvent cités par les Canadiens (35 %), devant les soins de santé (33 %), l’accessibilité au logement (28 %) ainsi que la croissance économique et la création d’emplois (28 %). Cet enjeu serait particulièrement important pour les plus jeunes électeurs, précisait Abacus jeudi, beaucoup plus important même que les changements climatiques et l’environnement.
Cette inquiétude des électeurs n’a pas échappé aux politiciens en campagne électorale. Réagissant aux dernières statistiques sur l’inflation, le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, a accusé le gouvernement Trudeau d’être responsable de l’augmentation des prix avec toutes ses « dépenses et ses politiques économiques », a rapporté mercredi le Globe and Mail. Pour le chef de NPD, Jagmeet Singh, c’est plutôt « la crise immobilière de Justin Trudeau [qui] est l’une des principales causes de l’inflation et qui rend la vie tellement difficile à ceux qui essaient de joindre les deux bouts ».
Dans son dernier portrait de la situation économique et financière au pays, la Banque du Canada a expliqué le mois dernier que le récent sursaut de l’inflation était essentiellement le fait de facteurs conjoncturels et temporaires. Elle en nommait trois. D’abord, la forte remontée, depuis un an, des prix de l’essence, d’un niveau « qui était très bas » à des niveaux qui dépassent maintenant ceux qui prévalaient même avant la pandémie. Deuxièmement, le fait que ce qui sert aujourd’hui de base de comparaison pour l’évolution de l’ensemble des prix correspond à la période la plus creuse de la crise économique provoquée par la COVID-19 il y a 12 mois. Enfin, le fait que les avancées contre la pandémie et vers la reprise économique sont inégales dans le monde, ce qui cause toutes sortes de goulots d’étranglement dans le commerce et de pénuries de pièces qui font grimper notamment le prix des voitures.
À lui seul, le fait qu’on se compare aujourd’hui aux jours les plus sombres de la crise explique plus des deux tiers de la hausse de l’IPC, estimait la semaine dernière la Banque Scotia dans une analyse. On arriverait à presque 85 % de l’explication si l’on y ajoutait les problèmes de dislocation des chaînes d’approvisionnement, qui ne devraient pas, eux non plus, normalement persister. En fait, « l’inflation fondamentale » véritablement attribuable à une demande plus forte que l’offre se trouve probablement encore aujourd’hui à peine au-dessus de 1,5 %, selon cette analyse, et augmentera graduellement jusqu’à 2,5 % en 2023, en même temps que les autres facteurs inflationnistes s’atténueront, et avant de se mettre à diminuer à son tour avec la régularisation de l’économie.
Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, pour qui le contrôle de l’inflation reste la mission première, ne se montrait pas trop inquiet, le mois dernier, mais pas complètement rassuré non plus. « Nous nous attendons à ce que les facteurs qui font grimper l’inflation soient passagers, avait-il déclaré, mais leur persistance ainsi que leur ampleur sont incertaines et nous les suivrons de près. »