Timide virage vers la semaine de quatre jours au Québec

Un mouvement mondial est en marche vers une diminution des heures travaillées, si bien qu’une semaine de quatre jours pourrait devenir la norme dans quelques années, estime Pascal Beauchesne.
Photo: Jonathan Hayward La Presse canadienne Un mouvement mondial est en marche vers une diminution des heures travaillées, si bien qu’une semaine de quatre jours pourrait devenir la norme dans quelques années, estime Pascal Beauchesne.

Quelques employeurs québécois ont mis en place des semaines de quatre jours ou de quatre jours et demi pour tout leur personnel. Devant les résultats positifs de ces mesures, ils encouragent les autres à faire de même. Mais pour l’instant, le milieu des affaires reste timide.

La jeune pousse Expedibox, qui fournit des casiers intelligents pour la gestion de colis, a établi un horaire de travail flexible de 32 heures par semaine depuis ses débuts. « Il faut apprendre à faire confiance aux gens. Ils sont jugés aux résultats et non aux heures travaillées », estime l’associé Alexandre Vignola Côté, qui ne croit pas qu’il soit possible d’être véritablement productif huit heures par jour, cinq jours par semaine. La compagnie offre aussi des salaires annuels dans la norme, estime-t-il.

Du côté de l’accélérateur montréalais d’innovation sociale Esplanade, on a plutôt opté en octobre dernier pour un horaire de quatre jours et demi. Tous les employés commencent donc leur fin de semaine le vendredi midi. « C’est un bienfait énorme d’avoir plus de temps pour eux. On a observé une bonne performance de la part des employés ; ils sont mobilisés. On élimine le présentéisme, les réunions inutiles, les pertes de temps », estime le directeur général Luc Tousignant, qui n’a pas l’intention de revenir en arrière.

Un mouvement mondial est en marche vers une diminution des heures travaillées, si bien qu’une semaine de quatre jours pourrait devenir la norme dans quelques années, estime Pascal Beauchesne, conseiller chez Numana, un organisme ayant pour but d’accélérer l’innovationdans le secteur des technologies. « Les employés sont plus heureux, parce qu’ils ont le temps de faire autre chose dans leur semaine. Revenir au travail n’est pas une corvée », estime-t-il. « C’est plus cohérent avec leur santé mentale et ils vont être plus efficaces. »

M. Beauchesne dit connaître une ou deux poignées d’entreprises québécoises qui se sont engagées récemment dans cette voie. Il s’agit surtout de PME, où la culture est plus facile à changer.

Des pionniers

 

Dans le secteur des organismes à vocation sociale et environnementale, la mesure n’est pas nouvelle : certains employeurs offrent des semaines de quatre jours depuis des dizaines d’années. C’est notamment le cas de la Fondation David Suzuki. « Ça fait vraiment partie de l’histoire et de la culture de la Fondation. La réduction des heures de travail, les horaires flexibles, ça augmente le bien-être des employés et ça a des avantages environnementaux », indique Sabaa Khan, directrice générale pour le Québec et l’Atlantique.

C’est aussi une réalité pour le personnel de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), qui a revendiqué une diminution des heures de travail pour ses membres à plusieurs reprises par le passé, à côté d’autres syndicats comme la Confédération des syndicats nationaux (CSN). La cinquantaine de conseillers syndicaux et adjoints administratifs du siège social de la FTQ travaillent 32 heures par semaine. « On mange la salade qu’on vend », s’exclame le président de la centrale syndicale, Daniel Boyer.

La réduction des heures de travail, les horaires flexibles, ça augmente le bien-être des employés et ça a des avantages environnementaux

Il souligne que les bonnes conditions de travail, y compris la semaine de quatre jours, assurent une meilleure rétention des employés. « On est capable d’attirer du personnel de qualité. Il n’y a presque pas de roulement », dit-il.

Des hésitations

 

On est toutefois loin de l’implantation d’une semaine de travail réduite à grande échelle comme en Islande. Le temps de travail moyen hebdomadaire au Québec pour un emploi à temps plein était de 38,8 heures en 2020, selon Statistique Canada.

« Il y a plusieurs études qui disent que travailler plus d’heures ne rend pas plus productif. L’idée est de travailler mieux, plutôt que de travailler plus », commente la directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, Manon Poirier. « Mais il n’y a pas encore beaucoup d’entrepreneurs intéressés. Il faut convaincre les gens, car c’est contre-intuitif de réduire les heures de travail quand tout le monde se sent débordé. »

Le Conseil du patronat du Québec (CPQ), de son côté, estime que la semaine de quatre jours peut être « intéressante pour l’attraction et la rétention des talents, surtout en pleine pénurie de main-d’œuvre ». « Le CPQ regarde d’un œil intéressé l’expérience des autres juridictions. Le Japon a d’ailleurs déposé un projet à cet effet en juin dernier. Des entreprises d’ici pourraient être inspirées et décider de se lancer dans cette aventure », a confirmé par courriel le p.-d.g. du regroupement, Karl Blackburn.

De son côté, Alexandre Vignola Côté dit avoir reçu plusieurs signes d’admiration de la part de ses collègues du milieu des affaires. « Tout le monde dit que c’est merveilleux, mais personne ne le fait », constate-t-il, tout en se disant prêt à partager son expérience avec d’autres entreprises qui souhaiteraient suivre sa trace.

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