Le géant ukrainien Antonov veut atterrir au Québec

Le fabricant du plus gros avion de la planète, le géant ukrainien Antonov, veut concevoir et faire l’assemblage final d’un modèle d’avion-cargo au Québec, a appris Le Devoir. Sans tambour ni trompette, cette société d’État a créé une filiale canadienne en mars ; elle cherche maintenant l’appui politique et financier du gouvernement du Québec pour s’installer dans la province.
Peu connu au Québec, l’avionneur ukrainien Antonov n’en reste pas moins un géant de l’industrie aéronautique. L’entreprise, qui appartient à Ukroboronprom, important conglomérat étatique ukrainien dans le secteur de la défense, fabrique le AN-225. Elle fait partie du club sélect des fabricants d’appareils destinés au secteur militaire comme Airbus, Embraer, Lockheed Martin, Kawasaki, Osprey, Taqnia, ou Tata.
Or, l’entreprise a créé discrètement en mars sa filiale canadienne — Antonov Aircraft Canada — dont le siège social se trouve au centre-ville de Montréal. Antonov tente maintenant de jeter les bases d’une coopération officielle entre le gouvernement ukrainien et le ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec afin qu’elle puisse concevoir et assembler un avion-cargo dans la province.
« Il y a un document qui a été proposé entre les deux gouvernements, à ce stade », confirme au Devoir Desmond Burke, dirigeant de Gold Leaf Aviation, entreprise ontarienne qui représente les intérêts d’Antonov au Canada.
On essaie toujours d’aller chercher des avionneurs. Même si Antonov n’a pas l’envergure d’Airbus, ils ont une expertise très forte en Ukraine pour ce qui est de la fabrication d’avion.
Le contenu de ce document, s’il est accepté, « encadrerait les discussions des deux gouvernements » pour qu’Antonov puisse éventuellement fabriquer des appareils au Québec. « C’est la pièce du casse-tête qui manque » pour que le projet de modernisation de l’AN-74 aille de l’avant dans la province, indique Desmond Burke.
Conçu à la fin des années 1970, l’AN-74 est un avion-cargo bimoteur qui peut voler sur une distance de 4600 kilomètres à une vitesse de 560 km/h. M. Burke présente l’appareil comme l’équivalent aérien d’un « camion pick-up » ou d’un « cheval de trait ». Antonov veut aujourd’hui le moderniser.
« La conception et l’assemblage final » de l’appareil se feraient au Québec, assure-t-il. Ce serait un « avion utilitaire » conçu à partir « du meilleur de ce qu’il y a dans l’industrie aéronautique québécoise ». L’AN-74 pourrait « potentiellement utiliser des moteurs fabriqués par Pratt & Whitney ou des technologies de [la montréalaise] CMC Electronics ».
Si Antonov espère avant tout établir un partenariat avec Québec, l’entreprise estime que le marché canadien serait prometteur pour l’AN-74. « Prenez le territoire québécois, il est immense et la seule façon de rejoindre [et d’approvisionner] certaines régions, c’est par avion », dit-il.
Si M. Burke utilise le terme « avion utilitaire », l’AN-74 n’en reste pas moins un avion-cargo qui a surtout servi au transport lourd à des fins militaires, jusqu’à présent. Les forces aériennes de la Russie, de l’Égypte, du Kazakhstan et de l’Iran possèdent l’appareil dans leur flotte respective. En janvier, le gouvernement ukrainien a d’ailleurs déclaré vouloir reprendre la production de l’AN-74 et en ajouter à sa propre flotte.
Des investissements saoudiens ?
Quant au financement du projet, le représentant d’Antonov se fait plus discret. Est-ce que l’Arabie saoudite y participera, comme le mentionnait au Devoir une source au courant du dossier ? « Je ne peux pas dire s’il y a des investissements de l’Arabie saoudite, mais il y a certainement de l’intérêt au Moyen-Orient », dit-il.
L’intérêt d’Antonov pour le Québec dépasse l’aéronautique, l’entreprise étant également présente dans le secteur ferroviaire. Elle veut aussi obtenir le soutien du gouvernement du Québec pour pouvoir remporter en Ukraine un appel d’offres d’Ukrzaliznytsia, société d’État qui gère le réseau ferroviaire du pays. Celle-ci veut moderniser sa flotte de wagons passagers.
Aussi bien pour ses ambitions aéronautiques que ferroviaires, Antonov Aircraft Canada veut bénéficier du programme Soutien aux projets d’investissement transformateur (SPRINT) du gouvernement du Québec. Pour être admissibles au programme, les projets doivent représenter des investissements d’au moins 10 millions de dollars ou créer plus de 100 emplois offrant des salaires supérieurs au salaire de la région.
« Ce serait une belle addition à notre écosystème », dit au Devoir Suzanne M. Benoît, présidente d’Aéro Montréal, la grappe industrielle aérospatiale du Québec. « On essaie toujours d’aller chercher des avionneurs. Même si Antonov n’a pas l’envergure d’Airbus, ils ont une expertise très forte en Ukraine pour ce qui est de la fabrication d’avion. »
Le gros défi pourrait être, selon elle, de certifier l’avion auprès de Transport Canada. « C’est un processus très coûteux », note-t-elle, précisant par ailleurs que le processus menant à cette certification crée autant d’occasions d’affaires dont pourrait bénéficier l’écosystème québécois.