Freinés par la pénurie de main-d’oeuvre

Des restaurateurs et des hôteliers un peu partout au Québec doivent faire des choix difficiles en raison du manque de personnel, au moment où s’amorce la nouvelle saison touristique. Tadoussac, qui s’attend à recevoir bon nombre de visiteurs québécois, ne fait pas exception.
« Dans la rue, on est les seuls à offrir des déjeuners parce qu’il n’y a plus personne pour en offrir aux autres places », a raconté la copropriétaire du Café Bohème Perrinel Aurore lors du passage du Devoir la semaine dernière. Son établissement est situé rue des Pionniers, qui traverse le village. « Donc, nous, ça va pour le moment, on peut le faire. Pour combien de temps ? On va se donner les moyens que ça dure. »
« L’équilibre est quand même fragile », a ajouté son conjoint, Florent Garcia, également propriétaire du restaurant. Un seul employé malade peut tout déstabiliser. Le couple s’estime tout de même chanceux parce que son personnel lui est fidèle.
L’Hôtel Sous la Croix s’est récemment retrouvé avec un employé en moins à la dernière minute. Une femme de chambre s’était trouvé un autre emploi ailleurs. La gérante, Léona Dufour, a donc quitté la réception temporairement pour faire le ménage après le départ des touristes. « Pas le choix », s’est-elle exclamée. Elle est incapable de trouver quelqu’un pour pourvoir ce poste.
À moins d’un kilomètre, le chic Hôtel Tadoussac se cherche aussi des employés. « C’est devenu le défi numéro 1 », a affirmé la directrice générale, Tina Tremblay. Ce défi s’ajoute à celui de la pandémie, qui limite le recrutement de travailleurs étrangers. L’hôtel a mis sur pied un projet avec la communauté innue de Pessamit à une heure et demie de route du village.
Le copropriétaire de la Microbrasserie Tadoussac Martin Fournier estime quant à lui avoir besoin de dix employés supplémentaires pour être en mesure d’ouvrir ses deux établissements sept jours sur sept, tout l’été. Lors du passage du Devoir, le pub adjacent était fermé. « On essaie d’ouvrir sept jours, mais on ne sera pas capables », a-t-il indiqué.
À la grandeur du Québec
« Dans toutes les régions où je vais, on va me parler de pénurie de main-d’œuvre », a avoué le ministre du Travail, Jean Boulet, joint depuis l’Estrie. Il reconnaît que les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie ont été fragilisés par la pandémie, mais ils ont un rôle à jouer pour résoudre le problème à son avis.
« Il faut certainement que les restaurants investissent dans l’amélioration de leurs conditions de travail, a-t-il dit. Je m’excuse de le mentionner, mais il faut devenir attrayant, avoir des plans de rétention… Je suis allé dans des restaurants où on me disait “on a dû monter les salaires, on a dû se donner des horaires un peu plus flexibles, on essaie de s’assurer de mieux respecter la conciliation famille-travail”. »
Il a invité les employeurs à utiliser la plateforme Québec Emploi et les programmes de subventions salariales pour intégrer les jeunes, les personnes handicapées et celles qui sont âgées de 55 ans ou plus dans leur entreprise.
Le gouvernement fédéral devrait également faire son bout de chemin, selon lui, en simplifiant le traitement de dossier des travailleurs étrangers temporaires. « Je travaille encore pour permettre aux restaurateurs d’avoir accès à un traitement simplifié pour embaucher des travailleurs étrangers temporaires, donc pour que ce soit moins long, moins coûteux et moins compliqué », a-t-il dit.
Il évoque également la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE) « qui a un effet dissuasif pour certains ». Cette aide financière hebdomadaire de 500 $ pour les salariés et les travailleurs indépendants a remplacé la Prestation canadienne d’urgence (PCU), créée au début de la pandémie.
Il faut certainement que les restaurants investissent dans l’amélioration de leurs conditions de travail
À Tadoussac, certains des employeurs consultés par Le Devoir ont mentionné que des employés potentiels préféraient continuer de recevoir l’argent de ce programme fédéral plutôt que de travailler pour eux. La situation dans ce village de la Côte-Nord a toutefois une autre particularité. La pénurie de main-d’œuvre est également alimentée par une pénurie de logements.
« On arrive quand même à trouver du monde, mais le problème ici, en étant saisonnier, c’est qu’il faut les loger, et on manque cruellement de logements saisonniers, a expliqué Perrinel Aurore, du Café Bohème. Ça peut arriver qu’on trouve quelqu’un, mais que, finalement, on ne puisse pas l’embaucher parce qu’on n’a pas d’endroit où le loger. »
« Ça prendrait plus d’hébergement dans le village », a souligné Martin Fournier de la Microbrasserie Tadoussac.
Comme le problème se présente surtout l’été, difficile de trouver un propriétaire prêt à aménager de nouveaux logements. « Tu ne vas pas investir dans une maison que tu vas louer trois mois par année, car ce n’est pas rentable », a observé le maire de Tadoussac, Charles Breton.
L’une des solutions auxquelles il avait réfléchi lorsqu’il était directeur général du Festival de la chanson de Tadoussac, il y a quelques années, serait la création d’un centre de stage international en métiers d’hôtellerie et en écotourisme. « Des fois, on engage des stagiaires, et il y en a qui se fixent, a-t-il fait valoir. C’est bon en région. On sait que la Côte-Nord se dépeuple tranquillement… »