Sur les réseaux sociaux, les entreprises québécoises limitées par leur langue

Si le français est une langue belle, sur les réseaux sociaux, elle peut sembler un peu coincée, surtout si on compare sa portée dans la vente en ligne à celle de l’anglais. Ce qui, même si ce n’est pas un frein en soi à la croissance des activités des PME québécoises, peut les ralentir si elles souhaitent élargir leur marché au-delà des frontières de la province en français seulement.
Bien des PME se sont lancées dans les communications numériques en 2020 et ont adopté les plateformes sociales comme YouTube, Facebook et Instagram. Si des entreprises canadiennes en ont profité pour accroître leur marché au-delà des frontières (autrement fermées) du pays, cela s’avère un peu plus compliqué pour les entreprises québécoises qui souhaitent mener leurs affaires en français, constate Jay Machalani, un jeune entrepreneur bilingue qui a cofondé avec sa conjointe, Catherine Francœur, la compagnie de création de contenu numérique GirlyAddict.
« C’est vrai que l’auditoire francophone est limité. Ce n’est pas comme l’anglais. Des internautes qui parlent français ou espagnol vont aller consulter du contenu en anglais. Mais on ne voit à peu près pas l’inverse », dit celui qui produit entre autres choses du contenu vidéo pour une poignée de chaînes YouTube et qui a décidé ces derniers mois d’étendre ses activités à la vente en ligne d’autres articles.
Cela comprend une série de romans pour adolescents intitulée Dans la tête d’Anna.com écrite par Catherine Francœur pour le compte des Éditions de la Bagnole que Jay, son amoureux mieux connu pour sa propre chaîne YouTube, jayaddict, aide à faire vendre à l’étranger. « Le contenu québécois peut quand même atteindre des auditoires en Europe, dans des pays comme la France, la Belgique et la Suisse. Après, on peut y vendre d’autres produits », dit-il.
Difficile d’exporter en français
Les bénéfices d’intégrer les médias sociaux dans la stratégie de vente en ligne des commerçants font peu de doutes. Deux entreprises canadiennes sur trois disent d’ailleurs l’avoir fait au cours la dernière année, selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). En fait, un patron sur deux au Canada voit l’utilisation de sites comme Facebook, Instagram et YouTube augmenter au sein de son entreprise dans les prochains mois, ajoute la FCEI.
Les réseaux sociaux sont des outils particulièrement efficaces pour aider à faire connaître une marque à l’étranger. Dans un rapport calculant l’impact économique au Canada de sa plateforme YouTube, Google affirme que pas moins de quatre créateurs sur cinq présents sur YouTube et qui vendent des produits en ligne confirment que l’auditoire international constitue « une part essentielle de leurs revenus ».
Au Québec, les entreprises qui maîtrisent suffisamment les réseaux sociaux pour exporter en français sont toutefois peu nombreuses, nuance la FCEI. Exporter en Europe n’est pas aussi simple que de le faire vers le reste du Canada ou les États-Unis…
Même si ses sondages ne portent pas directement sur la question, Milena Stanoeva, responsable des affaires publiques à la FCEI, est d’avis que l’auditoire francophone sur ces plateformes ne fait pas le poids comparativement à leur énorme bassin d’utilisateurs anglophones.
923 millions, 34 000 emplois
Les médias sociaux ont un rôle tout aussi important dans la création de nouvelles entreprises. Selon la FCEI, les plus grandes utilisatrices de Facebook, d’Instagram et de YouTube sont des entreprises qui sont en activité depuis tout au plus un an. Elles emploient généralement 100 personnes ou moins, et comptent souvent entre un et quatre employés seulement.
Les chiffres donnés par Google Canada soutiennent cette thèse. À l’heure actuelle, on dénombre sur YouTube 450 chaînes canadiennes individuelles comptant 1 million d’abonnés ou plus. Il existe 3500 chaînes canadiennes exploitées la plupart du temps par des créateurs indépendants ayant au moins 100 000 abonnés. De 2019 à 2020, le nombre de ces créateurs qui ont généré des revenus annuels de 100 000 $ ou plus a bondi de 30 % sur la plateforme vidéo propriété de Google.
Au total, la simple présence de YouTube au pays a permis d’ajouter 923 millions de dollars au produit intérieur brut canadien en 2020, calcule Google à partir de statistiques compilées par la firme d’analyse Oxford Economics. Après avoir sondé 4000 utilisateurs, 450 créateurs de contenu et 550 entreprises, tous du Canada, la firme estime que YouTube est responsable pour la création de l’équivalent de 34 000 emplois au pays, directement et indirectement.
Évidemment, ce poids économique et ces emplois supplémentaires sont créés là où la plateforme est plus utilisée. En ce moment, une fraction de ces chaînes sont établies au Québec, constate Andrew Peterson, responsable des partenariats pour YouTube au Canada. La plupart sont d’Ontario et de Colombie-Britannique.
Ce ne sont donc pas seulement les entreprises francophones qui ratent une occasion d’améliorer leurs affaires. Ce sont aussi les créateurs francophones et québécois qui finissent par être sous-représentés sur les réseaux sociaux.