Des citoyens seuls contre un projet «catastrophe» de construction

Cent wagons par jour transportant des conteneurs, 150 000 voyages par année, 1000 camions par jour, des activités 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, 10 000 conteneurs empilés en permanence sur un terrain vague de 2,5 millions de pieds carrés à quelques pas d’un quartier résidentiel… Même s’il est qualifié de « catastrophe » pour le voisinage par l’entrepreneur lui-même, il n’y a plus rien qui entrave le projet de transbordement de marchandises de Ray-Mont Logistiques dans le secteur Assomption Sud. Sauf des citoyens.
« La mobilisation grandit, constate Anaïs Houde, militante du groupe Mobilisation 6600 parc-nature MHM. On va être là et on va parler fort. »
L’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuvejuge avoir épuisé ses recours judiciaires pour bloquer le projet. En 2017, l’arrondissement, constatant le manque d’acceptabilité sociale du projet, avait refusé d’octroyer le permis de construction nécessaire à sa réalisation. Ray-Mont, qui avait acquis l’ancien terrain de la Canadian Steel Foundries situé entre les rues Dickson et Viau en 2016, s’était alors adressé avec succès à la Cour supérieure. Après avoir essuyé un revers, l’administration municipale a saisi la Cour d’appel, qui a aussi donné raison à Ray-Mont en janvier 2021. Depuis février, l’entreprise poursuit la Ville, réclamant 373 millions de dollars en dommages et intérêts.
Le maire de l’arrondissement, Pierre Lessard-Blais, demande maintenant à Ray-Mont Logistiques de s’asseoir avec les citoyens afin de trouver des solutions pour limiter les nuisances. La Concertation Assomption Sud–Longue-Pointe, créée par la Ville, permet des échanges réguliers entre les citoyens et divers acteurs liés au développement du secteur.
« C’est avec eux, les résidents du secteur, que l’entreprise doit élaborer son projet. […] Si le résultat de la concertation est acceptable pour les citoyens, les élus s’engagent à le recevoir favorablement », a affirmé M. Lessard-Blais par voie de communiqué.
Pollution sonore et de l’air
Le travail à faire est énorme pour que le projet soit mieux reçu par les citoyens. « On ne peut pas accepter que ce ne soit que des conteneurs empilés à l’infini en rotation 24 heures sur 24, de la pollution de l’air, des bruits métalliques de machinerie en permanence devant nos maisons, à l’endroit où on avait un boisé et des milieux humides », a indiqué Anaïs Houde.
Des idées pour améliorer le projet, les citoyens en ont plusieurs. « S’il ajoutait des forêts urbaines, si la machinerie était électrique, ça commencerait à avoir un peu d’allure », a soutenu Mme Houde. Plusieurs personnes souhaitent aussi la préservation d’une partie de la faune et de la flore du site, soulignant la présence de plusieurs plantes indigènes intéressantes et d’oiseaux migrateurs.
De son côté, le président-directeur général de Ray-Mont, Charles Raymond, a exprimé son point de vue mardi, lors d’une rencontre virtuelle limitée à 100 personnes, à laquelle plusieurs personnes n’ont pas pu participer. Il a présenté une panoplie d’idées d’aménagement pouvant faire plaisir aux citoyens, comme une tour d’observation, des parcs, des pistes cyclables, un jardin communautaire, un accès au fleuve, de l’art urbain et même une piscine publique et un centre d’escalade. Mais ces mesures ne font pour l’instant partie d’aucun plan concret. En fait, aucune mesure de mitigation n’est prévue pour l’instant, même si cela a toujours été le souhait de M. Raymond de réaliser un « beau projet ».
« En raison des changements de zonage et de la saga judiciaire, le permis délivré vient cristalliser les droits de l’entreprise et nous oblige à aménager notre projet tel qu’énoncé dans la demande de permis de 2017 », a dit le président par courriel.
Début des travaux
Lors de la rencontre citoyenne, M. Raymond a admis que le projet dans sa forme actuelle n’a « pas de bon sens » et qu’aucune étude d’impact sur l’environnement ni sur le bruit et la poussière n’a été effectuée. « Les gens me disaient que le bruit va être l’enfer, a-t-il mentionné au sujet de discussions qu’il a eues avec des citoyens au début du projet. Je le sais, mais la réglementation actuelle me permet de le faire. Tu ne peux pas me blâmer d’avoir acheté un terrain qui fait ce que je veux que ça fasse. »
Malgré tout, il n’est pas question de mettre le projet sur pause. Les travaux de construction de sa plateforme logistique intermodale, liée au port de Montréal, commenceront dans quelques semaines, selon le plan initial déposé en 2017. « Le permis délivré par l’arrondissement a une date d’échéance, nous devons donc entamer les travaux si nous ne voulons pas perdre ce permis », a plaidé M. Raymond.
L’entreprise n’a pas confirmé qu’elle participera à nouveau à l’instance de concertation avec les citoyens. Elle affirme vouloir discuter en priorité avec les élus, puisque c’est l’administration municipale qui peut autoriser des changements au projet. Il qualifie la situation « d’impasse », puisque ceux-ci auraient refusé ses demandes.
Mais les citoyens, eux, ne se découragent pas encore. Une manifestation est prévue le samedi 8 mai à la place Simon-Valois. D’autres groupes proposent des actions sur le terrain, comme « occuper les lieux en affichant des bannières, en plantant des arbres ou en construisant des installations », peut-on lire sur la plateforme Contrepoints de la part de la Brigade joyeuse du terrain vague.