Le modèle coopératif au service de l’économie de plateforme

Charlotte Mercille
Collaboration spéciale
Présente à Montréal, Québec et Saguenay, la coopérative Eva travaille actuellement au déploiement de l’application de covoiturage dans d’autres villes du monde.
Photo: Le Devoir Présente à Montréal, Québec et Saguenay, la coopérative Eva travaille actuellement au déploiement de l’application de covoiturage dans d’autres villes du monde.

Ce texte fait partie du cahier spécial Innovation sociale

Bien qu’encore peu exploité dans ce secteur, le modèle coopératif offre des pistes de solutions innovatrices aux bémols actuels de l’économie de plateforme. Selon le chercheur Olivier de Broves, la coopérative assure entre autres de meilleures conditions de travail aux travailleurs des applications de partage.

À la conférence qu’il donnera dans le cadre du 6e colloque du CRISES, Olivier de Broves présentera les résultats de son mémoire portant sur les coopératives qui révolutionnent l’économie de plateforme. À ce jour, le Québec ne comporte que deux entreprises de ce type, soit Radish, une entreprise de livraison de repas, et l’application de covoiturage Eva. Les deux font ainsi concurrence à Uber dans ces deux marchés respectifs. Le candidat à la maîtrise en sociologie à l’UQAM compare présentement les conditions de travail des employés travaillant en coopérative et celles de leurs collègues qui œuvrent au sein de modèles plus commerciaux.

Avant lui, de nombreux travaux universitaires ont démontré la précarisation du labeur dans l’économie de plateforme. Par exemple, étant donné que les chauffeurs d’Uber détiennent un statut de travailleur autonome, ceux-ci ne reçoivent aucune garantie de revenu minimum et le taux horaire se trouve régulièrement sous le salaire minimum. En cas d’accident, ils n’ont pas droit aux congés maladie payés.

« Le capitalisme de plateforme favorise le développement d’un modèle d’affaires fondé sur la précarité et la vulnérabilité des travailleuses et des travailleurs », note Olivier de Broves.

15 %

C’est la commission demandée par Eva à ses chauffeurs pour payer ses frais fixes, les fonds de développement et la trésorerie. Chez Uber, c’est 25 %.

C’est pourquoi ce dernier est réticent à utiliser le synonyme de l’économie collaborative. Si les employés d’Uber ont l’impression de trouver une indépendance à l’embauche, elle s’avère assez rapidement une illusion. En réalité, les tâches sont bien plus contrôlées par la direction que sous l’égide d’une coopérative. Les automobilistes d’Uber disent recevoir plus d’avertissements s’ils mettent plus de temps à réaliser une course qu’à l’ordinaire. Ils rapportent une pression plus forte à se mettre au travail pendant une période d’achalandage.

Les chauffeurs se prononcent

 

Olivier de Broves fait partie d’une communauté de chercheurs en Amérique du Nord qui prône la réappropriation des applications de partage par les travailleurs, notamment grâce à une gouvernance plus démocratique. Fondée en 2017, la coopérative Eva a d’ailleurs implanté une démocratie hybride où les utilisateurs et les travailleurs sont invités à s’exprimer en assemblée communautaire.

Les participants votent pour élire les représentants des différents types de membres de la coop. Ils se prononcent aussi sur le fonctionnement de l’application, les détails des paramètres et le code éthique des chauffeurs. C’est aussi une occasion pour eux de relever les pépins techniques qu’ils rencontrent.

Présente à Montréal, Québec et Saguenay, Eva travaille actuellement au déploiement de l’application dans d’autres villes du monde, notamment en Nouvelle-Zélande. « Le but est de fonctionner avec des franchises sociales, car l’application peut rester la même et être partagée sur n’importe quelle géographie. » La gouvernance, elle, restera décentralisée.

En contraste, les recours se font rares chez Uber. Les chauffeurs se heurtent la plupart du temps à des messages automatiques plutôt qu’à des personnes à l’autre bout du fil.

Une distribution des richesses plus équitable

 

Le modèle coopératif offre également une rémunération plus avantageuse pour les chauffeurs sur les plateformes coopératives que sur les plateformes capitalistes, qui elles vont extraire plus de valeur vers la haute direction. « La grande différence entre une société par actions de capital et une société coopérative, c’est que les excédents restent dans la réserve de la coopérative », souligne Olivier de Broves.

En cas de dissolution, il existe deux scénarios possibles. Le premier consiste à verser le tout équitablement entre les membres, passagers et chauffeurs compris, sous forme de ristourne. Dans d’autres cas, l’argent migre vers une autre coop du même type ou du même secteur. Tout ce qui va à la réserve est donc partageable.

La coop en campagne de séduction

 

Si la coopérative est si avantageuse, pourquoi n’y a-t-il pas plus d’entreprises de ce type au sein de l’économie de plateforme ? « Il faut grandir très vite dans ce milieu, répond Olivier de Broves. Et pour avoir une telle demande, il faut débourser énormément d’argent pour développer une expérience client robuste et se faire connaître. »

Les coopératives ont des difficultés à se financer, parce qu’elles ont surtout accès aux sources de financement de l’économie sociale traditionnelle, qui ne sont pas forcément adaptées aux entreprises technologiques. De plus, l’écosystème des start-ups et le milieu de l’économie sociale sont totalement disjoints, et donc en matière de financement, le match ne se fait pas toujours, résume-t-il.

« La coopérative, c’est un outil technologique qui répond beaucoup mieux aux enjeux sociaux. Il infuse la notion de démocratie dans l’économie, et ce, dans tous les domaines. Encore faut-il qu’il soit assez bien soutenu et promu par des politiques publiques. Il faut que le gouvernement choisisse de faciliter leur accès au marché grâce à des subventions privilégiées », propose le chercheur.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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