La crypto se taille une place dans le monde de l’art

Les œuvres d'art sous forme de NFT peuvent s’acheter sur des plateformes comme Superrare, OpenSea, NiftyGateway ou Rarible. Ici, sur la photo, l'oeuvre «Rebirth of Venus» de l'artiste lilmiquela s'est vendue pour près de 300 000 $US sur le site SuperRare.
Photo: Marie-France Coallier Les œuvres d'art sous forme de NFT peuvent s’acheter sur des plateformes comme Superrare, OpenSea, NiftyGateway ou Rarible. Ici, sur la photo, l'oeuvre «Rebirth of Venus» de l'artiste lilmiquela s'est vendue pour près de 300 000 $US sur le site SuperRare.

Grâce à la technologie chaîne de blocs, même les œuvres d’art peuvent désormais être certifiées — à la manière des cryptomonnaies — grâce aux non-fungible tokens (NFT) qui foisonnent depuis plusieurs semaines. Et certaines se vendent à des prix exorbitants en ligne. La semaine dernière, l’artiste de Vancouver Grimes a récolté pour environ 7,5 millions de dollars canadiens en vendant ses œuvres sous forme de tokens. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Le Devoir fait le point sur ce nouveau phénomène en vogue.

Les NFT sont des jetons numériques uniques, basés sur la chaîne de blocs (un registre numérique décentralisé qui documente les transactions) qui représentent des actifs, explique Guillaume Déziel, stratège en culture numérique, qui s’intéresse à cette technologie. « La raison pour laquelle ils ont de la valeur, c’est parce qu’ils sont uniques. On ne peut pas les dupliquer », ajoute-t-il.

Leurs déclinaisons sont multiples, de l’art numérique aux séquences vidéo sportives à collectionner. Un clip vidéo créé par l’artiste Beeple, de son vrai nom Mike Winkelmann, s’est vendu pour un montant record de 6,6 millions de dollars américains à la fin du mois de février.
 

Autre exemple : un clip d’une dizaine de secondes où l’on voit la star de la ligue nord-américaine de basket (NBA) LeBron James en action s’est vendu pour plus de 200 000 dollars américains sur le site Top Shot fin février. Lancée au début du mois d’octobre, la plateforme permet d’acheter et de vendre des extraits vidéo — sous la forme de NFT, à des prix qui varient selon leur rareté.

La popularité de tokens a explosé au cours des derniers mois, certains acheteurs dépensant de quelques centaines de milliers à plusieurs millions pour s’en procurer. Mais pourquoi payer si cher pour posséder quelque chose dont on peut profiter gratuitement en ligne et sans limites ? Pour la même raison qu’un collectionneur pourrait investir des millions dans un tableau de Picasso plutôt que d’acheter une reproduction — c’est-à-dire pour posséder l’original.

« Beaucoup de gens ne comprennent pas la valeur d’une œuvre d’art sous forme de NFT, parce qu’ils se disent qu’ils pourraient seulement copier l’image à partir d’Internet. Oui bien sûr que c’est possible, reconnaît Sheldon Corey, un investisseur montréalais qui possède près d’une demi-douzaine de tokens. Mais vous pourriez aussi le faire avec la Mona Lisa — sauf que tout le monde sait très bien où est la vraie. »
 


Si la popularité des NFT est nouvelle, leur existence remonte toutefois déjà à plusieurs années. Les « CryptoPunks » ont été les tout premiers tokens à avoir vu le jour en 2017. « C’est pour ça qu’ils sont si populaires. Et il en existe seulement 10 000, c’est un peu comme un club exclusif », souligne M. Corey qui possède son propre CryptoPunk.

« Au départ, ils étaient donnés gratuitement, mais le marché s’est développé de façon très intense. J’ai payé le mien pour 20 000 dollars américains, mais il y en a qui se vendent à des centaines de milliers de dollars, voire même à plus d’un million ! » ajoute-t-il. Désormais, l’investisseur s’intéresse à une autre catégorie de tokens très populaires, les Hashmasks.
 


« Je considère ça à la fois comme de la collection d’art et de l’investissement. Jusqu’à maintenant, ç’a été très lucratif. La valeur de mon CryptoPunk a doublé, et celle de mon Hashmask a gagné 30 % », explique M. Corey.

Une petite révolution pour l’art ?

Grâce à la technologie chaîne de blocs, les NFT octroient une valeur unique aux objets numériques, un certificat d’authenticité numérique. « Le NFT possède un historique à propos de qui l’a créé, qui l’a acheté et pour quel prix. Tout ça est très clair. Alors il ne pourrait jamais y avoir de doutes par rapport à si ç’a été volé par exemple », explique Guillaume Déziel.

Et cette technologie est en train de bouleverser le monde de l’art, au profit des artistes, croit M. Corey. Ça rend l’exposition de leurs œuvres plus accessibles. Par exemple, ils n’ont plus besoin d’être exposés dans des galeries et ils ont accès à un plus large public sur Internet. »
 

À Las Vegas, par exemple, un jeune artiste âgé de 18 ans, connu sous le nom de FEWOCiOUS vend ses œuvres numériques pour plusieurs dizaines de milliers de dollars. « Ce serait quelque chose de presque impossible pour un enfant de cet âge-là de vendre ces créations à de tels prix si ce n’était pas grâce aux NFT », estime M. Corey.

Beaucoup de gens ne comprennent pas la valeur d’une oeuvre d’art sous forme de NFT, parce qu’ils se disent qu’ils pourraient seulement copier l’image à partir d’Internet. Oui bien sûr que c’est possible. Mais vous pourriez aussi le faire avec la Mona Lisa — sauf que tout le monde sait très bien où est la vraie.

Signe que les NFT sont en train de faire bouger les choses dans le monde de l’art, la grande maison de ventes aux enchères Christie’s est devenue la première à proposer une œuvre de ce type et à accepter les paiements en Ether. L’œuvre, intitulée The First 5000 Days (2021), est proposée dans le cadre d’une vente en lot unique du 25 février au 11 mars.

Tweets à vendre

Mais l’engouement pour les NFT ne se limite pas aux vidéos de sport ou aux œuvres artistiques. Vendredi dernier, le fondateur et p.-d.g. de Twitter, Jack Dorsey, a mis en vente son tout premier tweet sous forme de NFT. Jusqu’à maintenant, l’offre la plus élevée a été déposée par Sina Estavi, p.-d.g. de la plateforme Bridge Oracle, pour un montant de 2,5 millions de dollars, selon le site Valuables. Il s’agit de la toute première fois qu’un tweet est mis en vente.

« J’avoue que je n’avais pas vu ça venir. Ç’a été un choc pour la communauté, souligne Sheldon Corey. Maintenant, vous pourriez vous-même mettre vos propres tweets en vente. »

Si les tweets sont la nouvelle forme de NFT prisée depuis quelques jours, l’investisseur pense que la prochaine étape pourrait passer par l’art littéraire. « Pourquoi les poèmes ne pourraient-ils pas être les prochains tokens ? » suggère-t-il.

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