De plus en plus de Québécois coincés dans l’ascenseur social

Le Québec reste en milieu de peloton au Canada en matière de mobilité sociale.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Le Québec reste en milieu de peloton au Canada en matière de mobilité sociale.

On se plaît à dire que le Canada et le Québec sont de meilleurs endroits que les États-Unis pour vraiment vivre le fameux « rêve américain ». Mais cet ascenseur social est loin d’être le plus performant et il a de plus en plus de mal à permettre à ceux qui sont tout en bas de monter des étages.

Des chercheurs de l’UQAM ont profité de l’accès à des données statistiques jusque-là inaccessibles pour faire le point sur l’évolution des inégalités de revenus et de la mobilité sociale au Canada ainsi que dans les provinces. Ce qu’ils ont trouvé n’a rien de réjouissant. Non seulement les inégalités entre riches et pauvres ont augmenté depuis le début des années 1960 au Canada, mais la probabilité qu’un enfant accède à un meilleur (ou à un moindre) niveau de vie que celui de ses parents a diminué. Toujours très fier de son filet social plus généreux, le Québec a un peu moins bougé que la plupart des autres provinces, mais il est essentiellement resté en milieu de peloton en matière de mobilité sociale.

Si l’ascenseur social fonctionne moins bien qu’il ne le faisait auparavant au Canada, c’est principalement pour les enfants qui sont nés dans les familles qui appartiennent au cinquième de la population le plus pauvre et dont le risque qu’ils en soient toujours au même point lorsqu’ils seront rendus adultes est passé de 27 % à presque 33 %, constate-t-on.

Les données de l’étude ne permettent pas de déterminer les causes de ce recul, a expliqué jeudi au Devoir l’une de ses coauteurs et directrice du Groupe de recherche sur le capital humain de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, Marie Connolly. Le phénomène semble toutefois aller de pair avec l’accroissement des inégalités de revenus, en accord avec ce qui a été surnommé « la courbe de Gatsby le Magnifique », en référence au personnage du célèbre roman de Scott Fitzgerald, qui avance que plus une société est inégalitaire et plus il est difficile de changer de statut socioéconomique, et vice versa. « D’une certaine façon, ça se comprend facilement, observe Marie Connolly. Plus les marches sont hautes et plus il est difficile pour les individus de les escalader. »

Bien, mais pourrait faire mieux

 

Ces tendances ne sont pas propres au Canada ni au Québec, évidemment. Cela fait maintenant des années que l’on rapporte le creusement des écarts socioéconomiques dans la plupart des pays. On l’attribue à plusieurs facteurs, dont le rétrécissement de l’État-providence et la baisse des impôts des plus riches, mais aussi la mondialisation, les nouvelles technologies, la financiarisation de l’économie ou encore le recul de la syndicalisation. C’est après qu’on a remarqué que ces nouvelles inégalités se passaient aussi de plus en plus d’une génération à l’autre.

À ce chapitre, le Canada se classe au milieu des pays développés, estimait l’an dernier le Forum économique mondial de Davos sur la base d’un nouvel outil de mesure basé sur une cinquantaine d’indicateurs, c’est-à-dire derrière les pays d’Europe du Nord, assez près de l’Allemagne ou de l’Australie, et loin devant le Royaume-Uni et les États-Unis. Le Canada fait particulièrement bien les choses, disait-on, en matière de services de santé, d’accès aux technologies ainsi que de qualité et d’équité en éducation. Il ferait mieux toutefois s’il comptait, par exemple, moins de travailleurs à faible revenu et si le taux de chômage des travailleurs les moins qualifiés n’était pas si élevé.

On aurait tort de se montrer trop sévère quant à la capacité du modèle québécois de jouer le rôle d’égalisateur des chances, écrivait dans L’État du Québec 2018 Nicolas Zorn juste avant de devenir le directeur général de l’Observatoire québécois des inégalités. Si tout ce que l’on dit sur l’érosion du filet social et des services publics est en partie vrai, il est vrai aussi qu’il s’est enrichi de nouveaux outils de réduction des inégalités, comme le régime public d’assurance médicaments, le système public de services de garde et le régime québécois d’assurance parentale. Puis, poursuivait-il, il faut tenir compte du défi supplémentaire que pose au Québec la langue française, tant pour l’ascension socioéconomique des nouveaux arrivants que pour la capacité des travailleurs à aller chercher de meilleures conditions de vie dans d’autres provinces.

Avancer à tâtons

Pour réduire les inégalités et améliorer la mobilité sociale, il faut d’abord disposer d’une image claire du problème, martèle Marie Connolly. Son étude de cette semaine a profité d’un nouvel accès à des microdonnées existantes. La chercheuse voudrait maintenant tester une intuition et croiser ces microdonnées avec d’autres données collectées par les gouvernements, cette fois sur l’éducation et la petite enfance, mais malheureusement toujours pas rendues accessibles à la recherche.

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