Les startups à la course pour éviter les faux départs

Au moment où des startups québécoises brûlent des centaines de milliers de dollars par mois pour développer leurs technologies et se tailler une place dans leur secteur d’activités respectif, les accélérateurs du Québec veulent les amener à la commercialisation plus rapidement. Pour qu’elles ne meurent pas avant même d’être entrées dans la course, les entreprises innovantes se retrouvent dans un véritable contre-la-montre.
« La route est longue pour passer d’une idée à sa commercialisation. Il faut investir du temps », explique Louis-Félix Binette, directeur général de Mouvement des accélérateurs d’innovation du Québec (MAIN) qui regroupe les organisations qui accompagnent les startups de la province. Dès leur création, elles se trouvent dans un contre-la-montre financier : « Le concept est simple : plus ça prend du temps, plus ça coûte cher et plus elles risquent de ne pas atteindre le marché. »
Le cash burn rate, c’est le terme anglophone utilisé dans l’industrie pour désigner les liquidités dépensées en frais fixes et en coûts de recherche et développement avant d’encaisser les premiers revenus.
« Il n’est pas rare qu’une startup dépense 2 millions de dollars au cours des trois premières années de son existence, avant de toucher un premier dollar en ventes. Et encore, on parle de revenu et pas de rentabilité », dit-il.
Dans un sondage réalisé auprès de 171 jeunes pousses en phase de commercialisation qu’il accompagnait en 2019, le MAIN relevait que plus du tiers des entreprises dépensaient plus de 100 % de leurs revenus en salaires ; 10 % d’entre elles ont versé des salaires même si elles n’avaient jamais engrangé de revenus.
Ces pourcentages sont plus élevés en phase d’amorçage et selon les secteurs d’activités. Car plus les technologies sont complexes et plus les secteurs d’activités sont réglementés, plus les coûts grimpent.
C’est la réalité pour les biotechs, secteur que connaît bien Patrick Colin. Ce consultant, pharmacien de formation, évolue dans l’industrie depuis plus 30 ans. Sa plus récente implication est dans Laurent Pharmaceuticals, une startup qui effectue actuellement des tests au Canada et aux États-Unis sur une molécule qui permettrait — si les résultats sont concluants — de réduire la morbidité et la mortalité chez des patients atteints de la COVID-19.
M. Colin résume ainsi la réalité dans le secteur : « Ça coûte environ 15 millions de dollars pour passer au travers les premières phases qui s’étirent sur une période de trois à quatre ans. Faites le calcul : les entreprises doivent débourser plus de 300 000 dollars chaque mois. »
« De moins en moins frileux »
Le défi du financement est réel au Québec, concède Jean-François Côté, p.-d.g. fondateur de District M, une entreprise montréalaise spécialisée dans la publicité. « Mais les investisseurs québécois sont de moins en moins frileux depuis quelques années. »
Les réussites et les rendements de l’ontarienne Shopify et de la montréalaise Lightspeed ont eu pour effet d’augmenter la tolérance aux risques, selon lui. Depuis mars, la valeur de leur titre a plus que doublé et sextuplé, respectivement.
L’intérêt pour la Bourse vient du fait que c’est un excellent véhicule pour une entreprise qui souhaite croître par acquisition, car on peut alors financer ses acquisitions en actions et accéder à du financement plus facilement
Cette tolérance aura certainement servi à District M. Elle a annoncé mardi l’acquisition de Sharethrough, une concurrente de la Silicon Valley. « D’habitude, c’est l’inverse qui se produit. Ce sont les Américains qui achètent les entreprises d’ici », dit-il. Du jour au lendemain, la startup a doublé de taille et fait maintenant partie du top 10 mondial des services d’échange d’annonces.
Encore fallait-il financer la transaction dont le montant n’a pas été révélé. Dès ce printemps, District M a convaincu des investisseurs d’utiliser la pandémie comme levier. « Moi, je leur ai dit : “Prenons des risques. Passons à l’offensive plutôt que d’être sur la défensive comme le font plusieurs. Et ils ont embarqué. »
Résultat : le Fonds de solidarité FTQ, Investissement Québec et EDC ont conjointement investi 19 millions de dollars dans l’opération. Et pour la suite des choses ? District M n’écarte pas une entrée en bourse. « Il y a un engouement de la part des investisseurs sur les marchés boursiers qui permet de lever en quelques mois ce qui prenait des années à faire. »
L’attrait des marchés est palpable. Le nombre d’entreprises technologiques qui ont fait le saut en bourse en 2020 a considérablement augmenté. Historiquement, trois des plus importantes entrées dans l’histoire des technologies se sont déroulées cet automne : Snowflake, Airbnb et Doordash.
Hardbacon fait partie de ces startups qui veulent profiter de cet engouement. L’entreprise a annoncé mardi son intention d’entrer en bourse d’ici la fin de l’année. Son p.-d.g. fondateur, Julien Brault : « L’intérêt pour la Bourse vient du fait que c’est un excellent véhicule pour une entreprise qui souhaite croître par acquisition, car on peut alors financer ses acquisitions en actions et accéder à du financement plus facilement. »
Dans les dernières années, le développement d’Hardbacon s’est appuyé sur le sociofinancement. Deux phases de financement ont été réalisées sur les plateformes réglementées que sont GoTroo et FrontFundr.
L’avenue du sociofinancement, selon M. Brault, permet non seulement de financer ses activités, « mais de bâtir une communauté d’ambassadeurs » et surtout de permettre d’atteindre le nombre minimal d’actionnaires nécessaires à un premier appel public à l’épargne (PAPE), passage obligé pour s’inscrire à la cote d’une Bourse.