La cimenterie de Port-Daniel passe sous contrôle brésilien

La cimenterie gaspésienne de Port-Daniel, un projet marqué par d’importants dépassements de coûts, sera désormais contrôlée par un conglomérat brésilien en vertu d’une transaction qui se traduira par des pertes de plusieurs centaines de millions de dollars pour les contribuables québécois.
Pour le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, l’État québécois ne reverra pas la couleur des 350 millions injectés dans ce complexe dont la facture est au bas mot de 1,6 milliard, et est peu probable qu’il récupère les intérêts courus de 122 millions qui lui sont dus. « Nous sommes loin en arrière dans la chaîne de paiement, a-t-il dit, jeudi, en conférence de presse à l’Assemblée nationale à la suite de l’annonce de la transaction. Je crois que c’est plus réaliste de dire aux Québécois “on a provisionné l’argent […], dans 10-15 ans on ouvrira le tiroir et s’il y a de l’argent qui rentre, tant mieux”. » Dans sa mise à jour économique automnale, le gouvernement Legault avait déjà inscrit une perte estimée à environ 380 millions pour son investissement dans Ciment McInnis.
La transaction prévoit que les activités de Ciment McInnis, l’exploitant du complexe d’environ 200 employés, se retrouveront dans une coentreprise comprenant les actifs nord-américains de Votorantim Cimentos. Elle sera contrôlée à hauteur de 83 % par une filiale du sixième producteur de ciment du monde et à 17 % par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).
Siège social à Toronto
Le siège social de cette entité sera à Toronto. Il n’a pas été possible de connaître le montant déboursé par l’entreprise brésilienne. Les rumeurs de discussions entre la Caisse et Votorantim avaient été éventées en août dernier. « La création de cette entité nous permet d’établir un partenariat avec un joueur de calibre mondial doté d’une présence établie, ainsi que d’un solide bilan en matière de rentabilité en Amérique du Nord », a fait valoir, jeudi, dans un communiqué, la première vice-présidente et cheffe des placements au Québec et de l’investissement durable de la CDPQ, Kim Thomassin, qui n’était pas disponible pour accorder des entrevues.
Présente dans 11 pays, Votorantim Cimentos compte 12 000 employés et génère des revenus nets de 4,4 milliards $CA, selon une fiche technique fournie aux médias. L’entité nord-américaine exploitera cinq cimenteries, 22 terminaux de distribution et deux broyeurs à ciment. Investissement Québec et Beaudier, la société d’investissement de la familleBeaudoin, qui font partie des actionnaires actuels, ne détiendront pas de participation dans la nouvelle coentreprise.
Engament pour les emplois
Cette transaction s’accompagne d’un engagement à maintenir les installations et les emplois — environ 200 à l’heure actuelle — à l’usine de Port-Daniel–Gascons « au minimum » jusqu’en 2029 et d’un autre à réduire l’empreinte carbone du complexe, l’un des plus grands pollueurs industriels de la province. « J’ai eu la chance de parler au président-directeur général de Votorantim Cimentos et il reconnaît qu’il y a des gens qualifiés (à Port-Daniel) », a dit M. Fitzgibbon, en reconnaissant qu’il n’y avait aucune garantie après 2029.
Ce chantier avait été annoncé en grande pompe par le gouvernement péquiste de Pauline Marois en 2014 et devait être piloté par Beaudier, la société d’investissement de la famille Beaudoin, qui faisait partie des actionnaires. Des dépassements de coûts de plusieurs centaines de millions de dollars sont survenus alors que le Parti libéral du Québec, qui avait donné le feu vert au projet, était au pouvoir.La CDPQ avait injecté près d’un demi-milliard de dollars dans le projet depuis 2014. Elle en avait pris le contrôle en 2016 et sa participation dans Ciment McInnis était de 27,5 % en date du 31 décembre dernier. La valeur du placement oscillait entre 300 millions et 500 millions.
Dans le contexte, l’expert-conseil en gouvernance Michel Nadeau, un ex-haut dirigeant de la Caisse, a estimé qu’il s’agissait d’une « bonne transaction » pour la CDPQ. « Mieux vaut avoir 17 % d’une compagnie rentable que la majorité de quelque chose qui ne l’était pas », a-t-il estimé, au cours d’un entretien téléphonique, tout en reconnaissant que le dénouement était moins agréable pour les contribuables québécois.