Le tourisme d’affaires en pleine crise

Ce texte fait partie du cahier spécial Tourisme d'affaires
Désastreux. Catastrophique. Ça va mal pour l’industrie du tourisme d’affaires, qui contrairement au tourisme d’agrément, a peu profité du petit rebond de l’été. Bilan.
Début 2020. Le tourisme d’affaires a le vent dans les voiles. Le Palais des congrès veut même s’agrandir. « Le tourisme d’affaires, en particulier au Québec, connaissait des années fastes. La destination no1 en Amérique pour celui-ci était Montréal », observe Marc-Antoine Vachon, titulaire de la Chaire de tourisme Transat de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
Dans le cycle naturel du tourisme d’affaires, les événements démarrent en janvier et culminent fin avril début mai. La COVID-19 est venue tout freiner en mars ; finis les congrès, les réunions, les lacs-à-l’épaule, les formations, les salons… La petite reprise de l’été s’est déroulée dans ce qui est normalement la période creuse du tourisme d’affaires. Le cycle, qui repart habituellement fin août-début septembre, pour progresser tout l’automne, s’est arrêté net avec la deuxième vague. « Alors que le tourisme d’affaires vivrait en ce moment un autre grand pic, tout a à peu près refermé », constate Steeve Gagné, président de l’Association des professionnels de congrès du Québec (APCQ).
Tourisme invisible, effets considérables
« Le tourisme d’affaires, c’est le tourisme caché. On ne le voit pas, et on parle beaucoup plus de celui d’agrément », remarque Jean Lagueux, professeur en études urbaines et touristiques à l’UQAM. Pourtant, ce tourisme a un très grand effet financier. Seulement pour Montréal, il représente 13 % de l’achalandage, mais 24 % des dépenses. « Ce sont des touristes très payants ; c’est aussi intéressant, parce que c’est souvent un seul gros événement, une seule grosse transaction à gérer », explique M. Vachon.
Les centres urbains ont particulièrement été touchés par la crise. Les régions ont pu tirer leur épingle du jeu, et certaines pertes ont été compensées par le volet agrément, alors que les villes ont aussi vu s’effondrer ce segment de clientèle. « On ne se cachera pas que certains joueurs ne survivront pas », croit M. Gagné. Les taux d’occupation dans le secteur hôtelier sont faméliques, surtout en milieu urbain. « Opérer à 5-6 %, ce n’est pas viable », poursuit-il.
En plus des salles de réunion, des centres de congrès et des hôtels, les organisateurs de congrès, les compagnies aériennes et de location de voitures, les restaurateurs et les traiteurs sont également touchés par l’absence de touristes d’affaires.
Plusieurs se voient donc forcés de mettre à pied des travailleurs, et les acteurs du milieu appréhendent une perte d’expertise si ceux-ci changent de secteur. « Une enquête menée par le Conseil québécois des ressources humaines en tourisme révélait qu’un bon nombre d’employés pensaient revenir, mais pas tout le monde », note M. Lagueux. Une mauvaise nouvelle pour un secteur déjà aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre.
Soutien à l’industrie
Pour tenter de pallier les effets de la crise, le ministère du Tourisme a mis sur pied un programme de subvention pour la modernisation des infrastructures en début de crise. À ce plan de relance en juin se sont ajoutées d’autres mesures de soutien (tant provinciales que fédérales) pour les acteurs en tourisme d’affaires. « Mais on parle beaucoup de prêts. Ça donne une certaine liquidité, mais ce ne sera pas suffisant si la crise perdure », observe M. Gagné, qui croit que des prêts devront être annulés pour sauver certaines entreprises. « C’est une industrie très diversifiée, il n’y a pas de solution miracle », ajoute M. Vachon. L’Association des hôtels du Grand Montréal (AHGM) et l’opposition officielle réclament pour leur part un congé de taxe foncière.
Les experts interrogés saluent toutefois l’écoute du gouvernement pour trouver des solutions et la proactivité de la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, qui frappe à toutes les portes. « On est très conscients que c’est un secteur de haute importance. Le tourisme d’affaires est deux fois plus payant que le tourisme d’agrément, en plus de faire rayonner à l’international des villes comme Montréal et Québec », confie la ministre en entrevue.
Innover pour survivre
Si les petits groupes peuvent encore tenir des réunions d’affaires à l’intérieur de leur propre région, les choses se compliquent pour les grands événements. « On ne parle plus seulement de se réinventer. On parle de découvrir un nouveau continent », illustre M. Gagnon.
L’industrie s’est donc rapidement adaptée : événements complètement en ligne ou hybride, division des groupes dans plusieurs salles, utilisation d’écrans géants. « Les baisses sont plus que significatives, mais il faut saluer le milieu qui a fait preuve de beaucoup d’inventivité ; et le besoin de réseautage est là », craint M. Vachon. « Même si à terme les gens vont vouloir échanger en personne, on a beaucoup gagné en expertise dans les formules hybrides et virtuelles », affirme la ministre Proulx. D’autres entreprises ont aussi testé des formules différentes, comme offrir des espaces de télétravail ou de coworking, des initiatives qui visent surtout à limiter les effets de la crise et à aider à payer les frais fixes.
Un plan de sécurité sanitaire COVID-19 pour le secteur du tourisme d’affaires a d’ailleurs été élaboré et approuvé par la Santé publique dès l’été. « Même si nous sommes en zone rouge, certaines pratiques de tourisme d’affaires sont possibles. Nous avons réussi à obtenir l’autorisation de réunion pour 25 personnes et nous sommes en constante discussion avec la Santé publique, pour qu’à moyen terme il soit possible d’augmenter la capacité », souligne Mme Proulx. Le président de l’APCQ évoque d’ailleurs le désir d’un certain assouplissement : « On comprend les limites des contacts, mais on voit que le risque de contagion n’est pas vraiment dans les entreprises. On aimerait qu’on nous accorde des exceptions. »
À moyen et à long terme, les rencontres d’affaires, congrès, foires commerciales et réseautage seront toujours là après la pandémie, tout comme les hybrides. « Le problème va être de survivre jusque-là », souligne M. Vachon.
Par ailleurs, les organisateurs devront faire preuve d’imagination et réfléchir à la valeur ajoutée de leurs activités. « Va-t-on déplacer tout le monde pour écouter quelqu’un parler une heure ? Je ne pense pas », conclut M. Gagné.
Taux d’occupation des hôtels en octobre 2020

Grande région de Montréal : 12,2 % (contre 80,8 % en 2019)
Centre-ville : 7 % (Le tourisme d’affaires a été quasi inexistant en octobre en raison des mesures sanitaires liées à la zone rouge.)
Source : Association des hôtels du Grand Montréal
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