Gérer des tours de bureaux fantômes

Ce texte fait partie du cahier spécial Les grands bâtisseurs
La pandémie de COVID-19 a créé de nombreux défis pour les gestionnaires d’immeubles commerciaux au Québec. Des chercheurs tentent maintenant de comprendre les problèmes qu’ils continuent d’affronter et surtout d’en tirer des leçons.
Le projet de recherche est mené conjointement par la Chaire Ivanhoé Cambridge d’immobilier et l’Observatoire et centre de valorisation des innovations en immobilier (OCVI2).« Comme chercheurs, nous ne pouvions laisser passer cette occasion d’en apprendre davantage sur la gestion immobilière en temps de crise », indique Andrée De Serres, professeure au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM et directrice de ce projet.
Entre les mois d’avril et de juillet, les chercheurs ont invité des gestionnaires immobiliers à remplir un questionnaire visant à décrire à la fois les enjeux qu’ils avaient vécus et les solutions qu’ils ont élaborées pour les surmonter. Ils ont reçu plus de 250 réponses.
Le choc initial
« On distingue clairement deux phases, soit les défis surgis dans l’urgence lors du déclenchement de la crise, puis une seconde vague de problèmes qui sont apparus quand la pandémie s’est allongée et dont plusieurs durent encore », explique Mme De Serres.
Lorsque le gouvernement a décrété un confinement généralisé en mars, les gestionnaires ont rapidement dû déterminer quels membres de leur personnel devaient garder une présence physique pour assurer la bonne gestion des immeubles. Les autres ont été placés en télétravail. Les organisations qui disposaient d’un plan de contingence et de capacités de travail à distance s’en sont assez bien sorties, mais celles qui affichaient des retards dans ces deux domaines ont peiné.
Avec la fermeture de plusieurs commerces et la désertion des tours de bureaux en mars, les gestionnaires ont aussi dû modifier en catastrophe le fonctionnement de plusieurs systèmes mécaniques (chauffage, ventilation, ascenseurs, etc.) afin de les adapter au très petit nombre de locataires présents.
S’installer dans l’anormal
Après s’être ajustés aux changements draconiens du mois de mars, les gestionnaires d’immeubles ont constaté comme tout le monde que la crise s’installait dans la durée. Cela a engendré une nouvelle série de défis, notamment sur le plan des relations avec les locataires. La communication n’a pas toujours été aisée avec des occupants soudainement absents des locaux.
Les entreprises qui louent les espaces commerciaux ont été nombreuses à vivre des difficultés financières depuis le début de la crise. Cela s’est en certains cas traduit par des problèmes à payer les loyers, voire par une réflexion plus profonde sur l’usage actuel et futur des locaux. Même lorsque les gouvernements ont lancé des mesures d’aide, la situation est demeurée complexe puisque les locataires et les propriétaires peinaient parfois à comprendre ces programmes ou à savoir comment y accéder.
La COVID-19 ne doit pas occulter le défi encore plus important qui se profile devant nous, soit les impacts des changements climatiques sur les villes, leurs citoyens et leurs besoins essentiels
Avec le temps, certains locataires ont voulu renégocier leurs baux, d’autres ont réduit les espaces qu’ils occupent alors que d’autres encore ont carrément quitté leurs locaux. Forcément, les ennuis financiers de ces entreprises se répercutent sur les propriétaires et les gestionnaires d’immeubles.
Par ailleurs, la santé, la sécurité et le confort des locataires et des autres usagers des bâtiments sont soudainement passés au premier plan. Cela a provoqué divers changements. Par exemple, dans certains édifices, l’entretien ménager qui se faisait autrefois surtout la nuit s’effectue désormais de jour, afin que les occupants le voient. « Non seulement les entreprises de services d’entretien doivent-elles réaliser un travail très rigoureux, mais elles doivent aussi pouvoir le démontrer », souligne la chercheuse.
Repenser l’aménagement urbain
Elle ajoute que les problèmes de communication apparaissent en filigrane de plusieurs des points mentionnés par les gestionnaires. Pour Mme De Serres, cela montre bien l’importance de développer des méthodes de communications plus efficaces et résilientes que celles qui existaient avant le confinement, notamment avec les locataires.
L’incertitude constitue un autre fil conducteur des réponses des gestionnaires. On peut difficilement prévoir combien de temps la crise durera et quelle tournure elle prendra. Les mesures sanitaires et les programmes d’aide financière publics évoluent rapidement et les nombreuses annonces peuvent engendrer de la confusion. Cela complique l’adaptation des gestionnaires.
Au-delà de la gestion des immeubles commerciaux, l’épreuve actuelle pose la question du développement d’immeubles et de quartiers durables et capables de surmonter des situations difficiles. « Cette fois-ci, c’est une crise pandémique, mais les leçons que nous en tirerons en matière d’aménagement et d’occupation des immeubles et des quartiers doivent nous aider à nous préparer à affronter d’autres types de crises, estime Mme De Serres. La COVID-19 ne doit pas occulter le défi encore plus important qui se profile devant nous, soit les impacts des changements climatiques sur les villes, leurs citoyens et leurs besoins essentiels. »
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