Qui paiera la facture?

Ottawa pourrait emprunter moins s’il révisait sa fiscalité et faisait un peu de ménage dans ce qu’on appelle les dépenses fiscales, c’est-à-dire ces crédits, exemptions, reports et exonérations d’impôt qui privent le gouvernement fédéral d’environ 160 milliards par année.
Photo: Paul McKinnon iStock Ottawa pourrait emprunter moins s’il révisait sa fiscalité et faisait un peu de ménage dans ce qu’on appelle les dépenses fiscales, c’est-à-dire ces crédits, exemptions, reports et exonérations d’impôt qui privent le gouvernement fédéral d’environ 160 milliards par année.

Mercredi, nous saurons si le discours du Trône sera à la hauteur des attentes suscitées par le premier ministre Justin Trudeau. Il a d’abord promis un plan de relance ambitieux, axé sur la justice sociale et l’économie verte. Le regain de vigueur de la pandémie semble avoir modéré son élan depuis, mais l’exercice aura un prix et une question est encore sur toutes les lèvres. Son gouvernement aura-t-il les moyens de ses ambitions ?

L’idée d’accroître davantage le déficit et une dette déjà sévèrement alourdis par les programmes de lutte contre la COVID-19 inquiète. On sait que le déficit de l’année en cours sera plus élevé que la prévision de 343 milliards de dollars faite en juillet. La dette suivra la même trajectoire. S’endetter n’est pourtant pas la seule solution, pas plus d’ailleurs que l’amputation des dépenses de programmes existants.

Ottawa pourrait emprunter moins s’il révisait sa fiscalité et faisait un peu de ménage dans ce qu’on appelle les dépenses fiscales, c’est-à-dire ces crédits, exemptions, reports et exonérations d’impôt qui privent le gouvernement fédéral d’environ 160 milliards par année.

Particuliers et entreprises bénéficient de cette constellation de mesures fiscales. Et cela peut se justifier. La plupart d’entre elles servent des objectifs de politique publique légitimes allant de l’allègement du coût de la TPS pour les moins nantis au soutien de la recherche et développement dans les entreprises.

Elles n’ont toutefois pas toutes cette vertu. Certaines ne sont que des échappatoires qui profitent avant tout aux contribuables et aux entreprises les mieux nantis. Cela fait des années qu’experts, groupes sociaux et membres du Comité permanent des finances demandent qu’on fasse un examen en profondeur de la fiscalité fédérale. Pour la rendre plus simple, mais aussi plus équitable et moins sujette aux abus.

Chaque gouvernement promet de s’y mettre. Les libéraux ne font pas exception. À leur arrivée au pouvoir, ils ont augmenté l’impôt pour les mieux nantis et allégé celui de la classe moyenne. Ils avaient promis des économies de plus de 3 milliards par année dans les dépenses fiscales, un objectif qu’ils auraient atteint l’an dernier, selon le budget de 2019.

Le hic est que chaque fois qu’on se penche sur ces dépenses, on se contente généralement d’épousseter dans les coins. On élimine ou modifie des crédits d’impôt pour que tout le monde en profite, mais l’évitement fiscal reste possible, les paradis fiscaux, accessibles et les échappatoires, disponibles.

Or, quand les temps sont durs, plus rien ne justifie de renoncer à des revenus précieux. Et encore moins quand, en plus de la pandémie, il faut affronter une crise économique, sociale et environnementale.

Selon les études de l’Agence canadienne du revenu, l’évasion fiscale, qui est illégale, coûte 26 milliards en impôts perdus par année, dont 11 milliards du côté des entreprises. Mais récupérer ces fonds est long et ardu. L’évitement fiscal, de son côté, est légal, bien que contraire à l’esprit de la loi. Il peut être combattu, même si ce n’est pas toujours simple, mais le jeu en vaut la chandelle puisque cette pratique aurait coûté 25 milliards de dollars au fédéral en 2016, selon un rapport du directeur parlementaire du budget.

Les dépenses fiscales non productives sont nettement plus faciles à cibler si on en a la volonté. Selon le rapport « Building Back Better with a Bold Green Recovery », remis au gouvernement fédéral en juin, Ottawa pourrait stimuler une transition écologique dans sept secteurs clés de l’économie en investissant 108 milliards sur 10 ans, dont 20 milliards par année pour les deux premières années, question de donner le coup de fouet nécessaire. Pour financer le tout, les trois auteurs ciblaient au moins cinq dépenses fiscales dont l’élimination permettrait de récupérer environ 40 milliards de revenus dès 2021. Plusieurs toucheraient les gains en capital.

Toby Heaps, coauteur de l’étude et p.-d.g. de Corporate Knights, estime qu’il faudrait mettre davantage à contribution les grandes entreprises les plus profitables. Il souligne qu’il existe depuis les années 1950 un déséquilibre entre le fardeau des contribuables et celui des entreprises. En 2018-2019, l’impôt sur le revenu des particuliers représentait 49,3 % des recettes fédérales et l’impôt des sociétés, 15,2 %.

Parmi ces grandes entreprises profitables, on retrouve les banques et les géants des télécommunications, dit-il, qui « sont tous en positions quasi monopolistiques et bénéficient d’un cadre réglementaire particulier qui crée des conditions de marché avantageuses pour eux. Leur faire payer leur juste part ne les ferait pas fuir le Canada ».

Du côté des particuliers, on a souvent entendu des appels à hausser les impôts des plus riches. Depuis quelques années, de jeunes millénariaux fortunés demandent d’en payer davantage. Cette semaine, leur groupe Ressources en mouvement a proposé un impôt progressif sur la fortune et un autre sur les grandes successions, rapportait Radio-Canada.

Il y a une semaine, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, disait que la crise sanitaire avait plus durement touché les femmes, les jeunes, les minorités visibles et les personnes à plus faible revenu. En revanche, écrivait le Centre canadien des politiques alternatives cette semaine, les 20 milliardaires canadiens les plus riches ont engrangé 37 milliards au cours des six derniers mois, soit une moyenne de presque 2 milliards chacun.

Vu sous cet angle, est-il impensable de demander à ceux qui en ont les moyens d’en faire davantage pour aider à traverser la crise et préparer l’avenir ?

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