Analyse: Facebook a un défi de taille

Facebook est une nouvelle fois attaqué dans son modèle d’affaires. Résonance d’un capitalisme devenu socialement engagé ou simple opération de protection de l’image de marque ?
Facebook est aujourd’hui la cible d’une campagne de boycottage, visée par le mouvement #stophateforprofit demandant la suspension en juillet de toute publicité sur sa plate-forme et sur celle d’Instagram. Le mouvement grossit. Il rejoindrait désormais quelque 400 annonceurs et déborde des frontières américaines.
D’aucuns voudraient y voir une expression de continuité d’un changement de cap des grands patrons du capitalisme, qui encore l’an dernier, étendaient leur mission d’entreprise au bien-être des autres « parties prenantes », dans un énoncé engageant le capitalisme vers un développement économique durable. Y voir une expression d’un certain activisme d’entreprise qui leur a permis de participer à la lutte contre les changements climatiques, contre le harcèlement des femmes, pour le resserrement du contrôle des armes à feu, pour la protection du droit à l’avortement ou encore pour la défense des immigrants.
Si assurer la pérennité de l’entreprise demeure l’obligation principale des conseils d’administration, les considérations sociales se sont greffées au fil des ans aux règles de gouvernance et de performance fiduciaire. De fait, la notion de parties prenantes statuant, jadis, la primauté de l’actionnaire s’est élargie pour englober les employés, les créanciers, les fournisseurs, les clients, les gouvernements.
Mais dans l’actuelle dialectique visant Facebook, la portée demeure encore limitée et le cœur de l’analyse reste trop longtemps confiné aux différentes réactions des Twitter, Snapchat et Facebook aux prises de position controversées du président américain sur les réseaux sociaux.
Pour l’heure, les annonceurs participant au mouvement se recrutent surtout parmi les moyennes et grandes entreprises. Selon les données de Pathmatics Data citées abondamment dans les médias américains, le top 100 des annonceurs sur Facebook n’apportent que 6 % des revenus de 70 milliards que le réseau social a affichés l’an dernier. L’essentiel des 7 à 8 millions d’annonceurs se recrute parmi les petites et moyennes entreprises, qui font appel au marketing ciblé de Facebook et qui recherchent des ventes directes parmi les quelque 2,6 milliards d’utilisateurs actifs mensuellement selon Statista.
Également confrontée aux enjeux autour de la protection des données et de la vie privée, Facebook n’en est pas à une première contestation près de son modèle économique sans que le cours de son action ou ses revenus en soient affectés. Si le plus important réseau social multiplie les investissements dans la sécurité de ses systèmes, ses marges bénéficiaires brutes ne cessent de caracoler au-dessus des 30 à 40 %. Et dans l’actuel appel au boycottage, Facebook s’engage à revoir ses propres dispositifs et règlements par rapport aux fausses nouvelles et à la vérification des faits, sans compromettre sa position de défenseur de la liberté d’expression sur le Net.
L’économiste Olivier Bomsel, professeur à Mines Paris Tec, a soutenu dans un texte de l’Agence France-Presse que, pour dénicher un maximum de cibles potentielles, les réseaux sociaux « ont été incités à maximiser l’audience par la construction de récits sensationnalistes, l’exacerbation de divergences d’opinions, de conflits de valeurs ». Ce à quoi Nick Clegg, lobbyiste en chef de Facebook, s’est défendu sur Bloomberg TV : « Nous ne tirons aucun profit de la haine, nous ne l’encourageons pas […] C’est notre travail de débusquer ce genre de contenu, mais je ne veux pas que quiconque imagine que nous arriverons à nous en débarrasser entièrement parce que le discours haineux fait partie de la condition humaine. »
Ce qui n’enlève en rien à la problématique du contrôle des grandes plates-formes et de leur puissance monopolistique. Facebook a, ici, un défi de taille.