Le marché du carbone plombé par la pandémie
La pandémie a plombé la dernière vente aux enchères du marché du carbone : seulement 37 % des unités d’émission mises en vente par Québec pour la période en cours ont trouvé preneur, alors qu’elles sont habituellement toutes vendues. Cela signifie potentiellement que les grands émetteurs rejettent moins de GES dans l’atmosphère, mais aussi que le gouvernement est privé d’environ 160 millions de dollars pour financer la transition écologique. Le ministère de l’Environnement assure que ce manque à gagner ne l’inquiète pas à long terme.
Quatre fois par année, les gouvernements du Québec et de la Californie mettent en vente des unités d’émission de gaz à effet de serre (GES), que de grands pollueurs doivent obligatoirement se procurer. Tous les trois ans, ces derniers doivent prouver que les unités en leur possession couvrent bien leurs émissions. Le prix minimal des unités et leur quantité varient pour faire diminuer les émissions totales progressivement.
Le 20 mai, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) mettait en vente 9 068 906 unités pouvant être utilisées pour la période en cours (2018-2020). Du nombre, 3 335 153 (37 %) ont été vendues. Le ministère mettait également en vente 1 319 750 unités du « millésime 2023 » pouvant être utilisées lors de la prochaine période (2021-2023). Parmi elles, 268 295 (20 %) ont trouvé preneur. Toutes les unités ont été vendues au prix plancher de 23,17 $. La vente a généré un revenu brut d’environ 82 millions de dollars pour le Québec.
L’an dernier, les ventes aux enchères avaient généré en moyenne des revenus de 242 millions. Par ailleurs, avant la vente du mois dernier, 100 % des unités mises en vente depuis mai 2017 avaient trouvé preneur. Toutes les sommes récoltées sont versées au Fonds vert, qui finance des projets environnementaux et de lutte contre les changements climatiques.
Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, se demande maintenant comment Québec va financer la lutte contre les changements climatiques, surtout si l’économie tarde à redémarrer après la pandémie. « Si les revenus des ventes aux enchères sont beaucoup plus faibles pendant trois ans, et puisque le gouvernement a aussi d’autres priorités en santé et pour la relance économique, c’est possible que l’argent pour la lutte contre les changements climatiques soit réorienté », craint-elle.
Selon son dernier budget, le gouvernement Legault prévoit de tirer 192 millions de dollars du marché du carbone lors du premier trimestre de 2021 — une période qui comprend une seule vente aux enchères — afin de mettre en œuvre la nouvelle Politique-cadre d’électrification et de lutte contre les changements climatiques, qu’il doit détailler cet automne.
Interpellé par Le Devoir, le cabinet du ministre Benoit Charette assure dans une réponse écrite que le financement des mesures de lutte contre les changements climatiques ne se fait pas en fonction des recettes de chaque vente aux enchères, mais bien des enveloppes accordées annuellement au budget.
« Or, le premier ministre et le ministre des Finances ont déjà annoncé que les sommes qui avaient été prévues en Environnement au budget 2020-2021 seront maintenues. Il n’y aura donc aucun impact sur la disponibilité des sommes pour financer les mesures de lutte [contre les] changements climatiques prévues au budget », indique-t-on. Le MELCC souligne aussi que la chute récente des ventes d’unités pourrait ne pas avoir d’effet notable sur les recettes considérées à plus long terme.
Des unités d’émission pouvant être reportées
Sur le marché du carbone québéco-californien, chaque unité d’émissions vaut une tonne équivalente de CO2. Toutefois, les 7 749 156 unités non vendues par le MELCC ne correspondent pas nécessairement à une réduction des émissions de 7,7 mégatonnes, selon Normand Mousseau, un professeur de physique à l’Université de Montréal et le directeur de l’Institut de l’énergie Trottier. Ce printemps, le transport automobile individuel a ralenti, certes, mais les industries lourdes ont essentiellement continué leurs activités. « Je soupçonne que les émetteurs ont repoussé leurs achats d’unités, pour voir ce qui va se passer avec l’économie », croit-il.
Au Québec, les unités d’émission qui n’ont pas été achetées peuvent être reportées à des ventes aux enchères ultérieures. Pour cela, les enchères doivent cependant surpasser le prix plancher lors de deux ventes consécutives. Par ailleurs, la quantité d’unités d’émission remises en vente à l’occasion d’une vente aux enchères ne peut excéder 25 % du nombre d’unités initialement prévu. Les unités des millésimes futurs sont, quant à elles, tout simplement reportées à l’année en question.
Dans les dernières années, les enchères surpassent généralement le minimum fixé. C’était la première fois depuis mai 2017 que les enchères ne dépassaient pas le prix plancher.
Quoi qu’il advienne à plus long terme, Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie chez Greenpeace Canada, fait part au Devoir « d’inquiétudes majeures » quant au financement de la lutte contre les changements climatiques en raison des maigres ventes d’unités d’émission en mai.
Par ailleurs, il presse le gouvernement de donner une impulsion écologique au Québec post-pandémie. « Pour l’instant, on n’a aucun plan de relance qu’on pourrait qualifier de vert », déplore-t-il.