Analyse: conseils pour évoluer dans un monde complexe et incertain

Comme le veut, semble-t-il, une récente tradition, Stephen Poloz a livré la semaine dernière, à l’Université de l’Alberta, une sorte de discours de départ à quelques jours de la fin, mercredi, de son mandat de sept ans à titre de gouverneur de la Banque du Canada. Encore plus long que d’habitude et consacré, comme il se doit, aux questions on ne peut moins excitantes de politique monétaire, ce discours était malgré tout porteur d’un message de première importance débordant largement le petit monde des banquiers centraux.
Intitulé La politique monétaire devant l’inconnu, ce discours expliquait comment la Banque a fini graduellement par admettre qu’il était peine perdue de chercher une façon de prédire correctement l’avenir à tout coup. À la place, elle essaie désormais d’embrasser une approche capable de composer avec une « incertitude économique et politique extrême ».
Dans un monde où d’obscurs produits financiers, les lubies d’un président erratique ou l’apparition d’un virus dans un lointain marché public peuvent provoquer des réactions en chaîne qui mettront sens dessus dessous la planète entière, cette approche consiste, entre autres, à savoir détecter et distinguer les « risques », dont on peut quand même estimer les probabilités, et les « incertitudes », où même cette estimation n’est pas possible. Une fois les scénarios les plus probables établis, on passe à l’action en fonction de stratégies suffisamment flexibles pour être adaptées à l’évolution des circonstances.
Humilité et transparence
« Cette approche peut sembler vague et subjective », a admis Stephen Poloz, mais c’est malheureusement le seul moyen d’être efficace dans un monde incertain et complexe comme le nôtre.
Cette réalité, a-t-il poursuivi, nous force « à faire preuve d’une certaine humilité dans la formulation des politiques et à toujours chercher à mieux comprendre, à davantage nous informer et à éclaircir les zones d’ombre ». Elle a aussi convaincu la Banque du Canada de cesser, dans ses communications, de toujours faire comme si elle savait déjà quel allait être le prochain coup qu’elle allait jouer. Plutôt que « d’offrir de fausses certitudes », on cherche dorénavant à présenter avec le maximum de « transparence » son évaluation des facteurs ayant conduit aux décisions « tout en faisant preuve de franchise quant à [leur] grande incertitude inhérente ».
Une telle attitude a notamment l’avantage d’encourager les acteurs du marché à ne pas se fier seulement à la Banque et à procéder à leurs propres analyses, fait-on valoir. On obtient ainsi une plus grande « pluralité des perspectives sur la situation économique ».
Pas juste bon pour la Banque
Plusieurs se reconnaîtront, sans doute, dans ce portrait d’un monde dans lequel il faut avancer en dépit d’une réalité incertaine et changeante, à commencer par les gouvernements qui, depuis l’éclosion de la pandémie de COVID-19, gèrent comme ils le peuvent leur guerre sanitaire contre un virus dont on sait encore peu de chose et des programmes d’aide financière développés au fur et à mesure. Mais ils ne sont pas les seuls. Plusieurs entreprises et organisations doivent aussi, chaque jour, prendre des décisions (parfois existentielles) sans en contrôler toutes les variables ni même disposer de toutes les informations nécessaires.
Les questions auxquelles on fait face aujourd’hui sont « nombreuses et complexes », observait Stephen Poloz dans son discours. Quand et comment le commerce mondial se redressera-t-il ? Comment les entreprises reconstruiront-elles les chaînes de valeur ? Quels dommages à long terme la pandémie infligera-t-elle à l’emploi et aux entreprises ? Quel impact aura le creusement de l’endettement des ménages et des gouvernements ?
Mais dans tous les cas, les principes de réalisme, de flexibilité, d’humilité, de transparence et d’ouverture à d’autres perspectives, que la Banque du Canada dit essayer de mettre en pratique, constituent probablement de bons conseils.
Quant à ce que l’avenir nous réserve, il semble bien qu’en dépit « des pertes de production et d’emplois historiques », l’économie canadienne ait évité le pire et qu’un retour de la croissance soit imminent, a expliqué mercredi la banque centrale au terme de sa dernière réunion présidée par Stephen Poloz. Ces prévisions restent cependant « fortement brouillées » en raison de « l’incertitude élevée », n’a-t-elle pas manqué de rappeler.