Une crise qui profitera à long terme aux petits métiers?

La pandémie de COVID-19 débouchera-t-elle sur une amélioration durable de la valorisation sociale et salariale de certains des travailleurs les plus modestes de la société ?
François Legault a répété, en conférence de presse lundi, ce qu’il avait dit la semaine dernière sur le traitement réservé depuis trop longtemps aux plus humbles des employés des résidences pour personnes âgées, aujourd’hui en première ligne dans la bataille contre le nouveau coronavirus. « On aurait dû le faire avant, j’aurais dû le faire avant, a admis le premier ministre québécois. Il faut trouver un moyen d’augmenter les salaires des préposés aux bénéficiaires de façon permanente le plus rapidement possible. »
Le prenant au mot, les deux centrales syndicales (FTQ et CSN) représentant les principaux intéressés étaient de retour à la table de négociation avec le Conseil du trésor mardi pour améliorer leurs conditions de travail non seulement dans le secteur public, où les préposés gagnent, au mieux, 22,35 $ l’heure, mais aussi dans les résidences privées pour personnes âgées, où leur salaire ne dépasse souvent pas 13 $ ou 14 $ l’heure. « C’est impensable que les personnes préposées aux bénéficiaires gagnent un salaire à la limite du salaire minimum », a martelé Sylvie Nelson, présidente du Syndicat québécois des employées et employés de services (FTQ).
Les petits métiers
La crise sanitaire aura donc peut-être au moins eu le mérite de mettre en lumière l’importance primordiale de ces personnes, souvent des femmes, dont plusieurs issues des minorités, qui apportent soins et attentions à nos aînés. Il se pourrait bien qu’elles ne soient pas les seules, pense Mircea Vultur, spécialiste du travail et de l’insertion professionnelle à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).
La pandémie de COVID-19 et les mesures de confinement des gouvernements nous ont permis de redécouvrir, voire de remarquer pour la première fois le rôle essentiel joué par toutes sortes de petits métiers, comme les aides-soignants, les employés d’épicerie, les travailleurs agricoles, les livreurs même, a constaté l’expert en entretien téléphonique au Devoir. On en retiendra peut-être qu’il n’y a pas que les diplômes et les qualifications de très haut niveau qui comptent et qui devraient être valorisés socialement et financièrement, il y a aussi « l’utilité publique et la pénibilité des tâches assurées par ces gens tout en bas de l’échelle sans qui la société ne fonctionnerait pas ».
Après tout, la peste noire au Moyen Âge, la grippe espagnole du début du siècle dernier et plusieurs autres grandes catastrophes humaines avaient aussi contribué à réduire les inégalités et à valoriser les travailleurs les plus modestes, rappelle Mircea Vultur. Il est vrai, cependant, que cela découlait largement de la mort d’une large proportion de la main-d’œuvre.
Marie Connolly craint toutefois qu’on fasse rapidement une distinction entre, par exemple, les personnes œuvrant auprès des personnes âgées et les travailleurs des autres secteurs de service. « Cela fait longtemps que l’on parle du problème des conditions de travail des préposés aux bénéficiaires, alors que je ne pense pas que le rôle des caissiers dans les épiceries continuera de nous apparaître aussi crucial une fois la pandémie passée », observe la professeure d’économie et directrice du Groupe de recherche sur le capital humain de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. « Et puis, les enjeux de la qualité et du suivi du service sont quand même plus importants en santé que pour un commis. »
Il se peut toutefois que l’on garde aussi de la présente expérience l’ambition d’une plus grande souveraineté industrielle et alimentaire et que cela nous dispose à payer plus pour des aliments produits ici et pour les travailleurs, souvent étrangers, qui rendent cela possible, note l’experte.
Le rôle de l’État
Les travailleurs de la santé ont aussi l’avantage d’œuvrer dans un secteur où l’État est omniprésent et dont la logique et l’horizon ne sont pas les mêmes que dans le secteur privé, ajoute Mircea Vultur. « C’est le bon moment pour eux de chercher à faire le maximum de gains. »
Il est vrai que la logique de marché n’a pas toujours préséance et que certains événements ont le pouvoir de précipiter des changements culturels dans l’emploi, convient l’économiste Marie Connolly. Elle en veut pour exemple l’entrée massive des femmes sur le marché du travail après la Deuxième Guerre mondiale. Ce changement culturel allait par la suite mener au Québec à l’adoption de politiques d’équité salariale visant justement à mettre un terme à des écarts entre certains types d’emplois qu’on n’était plus prêt à accepter. « Peut-être que la crise actuelle aura le même effet. »
Avec La Presse canadienne