La moitié des locataires n’auront plus de coussin financier à la fin du mois

Près de la moitié des travailleurs qui vivent en location disposent de moins d’un mois de coussin financier en cas de perte d’emploi. Encore pire, presque le quart de ces ménages disposent de moins d’une semaine avant de se retrouver devant une impasse, à moins d’une aide financière.
« Alors que, chaque jour, de plus en plus de Canadiens perdent leurs revenus à cause de la COVID-19, des centaines de milliers de familles pourraient être forcées de choisir entre faire l’épicerie et payer le loyer », a déclaré Ricardo Tranjan, chercheur principal au Conseil canadien de politiques alternatives, au moment de dévoiler, cette semaine, l’étude dont sont tirées ces proportions.
S’intéressant spécifiquement aux ménages canadiens qui tirent de leur emploi la majorité de leurs revenus et qui louent leur logement, l’étude a fait la somme de l’ensemble de leurs revenus de travail et de transferts après impôt ainsi que de l’ensemble de leurs économies sous forme de comptes bancaires, de comptes d’épargne libre d’impôt (CELI) et d’autres investissements, à l’exclusion des avoirs moins liquides, comme une voiture ou un régime enregistré d’épargne-retraite (REER).
Cela permet de constater qu’en cas de perte d’emploi, 46 % de ces ménages au Canada auraient à peine ce qu’il faut pour payer toutes leurs factures du mois et près du quart (24 %) ne parviendraient même pas à se rendre jusqu’à la fin de la semaine s’ils perdaient leurs chèques de paie.
Basée sur les données disponibles les plus récentes de Statistique Canada, qui remontent à 2016, l’enquête révèle des proportions similaires au Québec, soit que plus de 47 % (ou 415 000 ménages) tiendraient à peine un mois, que 38 % (ou 360 000 ménages) résisteraient moitié moins longtemps et que 23 % (ou plus de 200 000 ménages) seraient coincés avant même la fin de la semaine.
Les plus vulnérables
Ricardo Tranjan n’a pas de raison de croire que ces proportions ont tellement changé en quatre ans. « Et si elles ont évolué, je pense que c’est probablement pour se dégrader », a-t-il expliqué en entretien téléphonique au Devoir mardi.
Ces résultats sont assez similaires à ceux obtenus par d’autres recherches et enquêtes sur le même sujet. L’an dernier, un sondage Ipsos, réalisé pour le compte de la firme spécialisée en insolvabilité MNP, rapportait que la moitié des Québécois (comme des Canadiens) admettaient frôler le défaut de paiement chaque mois, au point de ne pas pouvoir payer une facture additionnelle de 200 $ ou moins, et que cette proportion allait en augmentant depuis quelque temps.
Dans son étude, Ricardo Tranjan a choisi de se concentrer sur les ménages de locataires « parce qu’ils sont encore plus vulnérables que les autres en période économique difficile. Le logement reste la plus grosse dépense des familles ».
À cet égard, l’économiste politique craint que l’aide d’urgence promise par les gouvernements aux travailleurs frappés de plein fouet par leurs mesures de lutte contre la pandémie de coronavirus ne soit pas suffisante et arrive trop tard.
Les promesses du gouvernement fédéral, de la semaine dernière, d’assouplir les règles de l’assurance-emploi et d’augmenter les transferts sociaux aux familles « semblaient sur la bonne voie, mais on en attend toujours les détails », se désole-t-il.
À ce chapitre, le Québec, lui, apparaît avoir été une « province modèle » à plus d’un égard en raison, par exemple, de sa décision d’interdire l’éviction des locataires qui, avec la « mise sur pause » de l’économie tout entière, se retrouveraient soudainement incapables de payer leur loyer.
Mais compte tenu de la faible capacité générale d’épargne des ménages des locataires, un simple report à plus tard de deux, trois ou quatre mois de loyer pourrait quand même se révéler un obstacle financier impossible à relever. Aussi faudrait-il également considérer, selon lui, l’effacement pur et simple d’au moins une partie de ces loyers non payés.
Les petits propriétaires immobiliers ne devraient toutefois pas faire les frais d’une telle mesure. « Comme les entreprises, ils devraient avoir droit à une aide financière », propose Ricardo Tranjan.
La fin du mois arrive
Mardi, des syndicats ont emboîté le pas à des représentants du patronat pour réclamer qu’Ottawa transfère aux entreprises le traitement des demandes d’assurance-emploi afin d’en augmenter la vitesse. À l’heure où les nouvelles demandes d’assurance-emploi ont bondi en une semaine au Canada de 150 000 à près d’un million, le directeur québécois d’Unifor, Renaud Gagné, a déclaré à La Presse canadienne : « Que le fédéral fasse un chèque à l’entreprise et elle versera ensuite le montant aux employés. Sinon, avec l’engorgement des lignes, ça peut prendre deux ou trois heures, puis des délais de six semaines », avant d’obtenir un chèque. » La Chambre de commerce du Montréal métropolitain avait sensiblement lancé le même appel la veille.
« Le temps est un facteur déterminant ici, affirme Ricardo Tranjan. De nombreuses familles ne peuvent attendre un soutien qui ne se concrétisera que d’ici avril ou mai. Elles en ont besoin maintenant. De nombreux locataires qui viennent de perdre leur travail seront dans une situation catastrophique avant la fin du mois. Et la fin du mois, c’est dans moins d’une semaine. »