L’économie en boucles positives

Ce texte fait partie du cahier spécial Unpointcinq
Encore méconnu il y a cinq ans, le concept de l’économie circulaire apparaît aujourd’hui comme la nouvelle solution aux enjeux climatiques. La Commission européenne,qui vient de dévoiler son « Pactevert », y voit un des principauxmoyens d’atteindre la neutralitécarbone en 2050. Ici, Recyc-Québec, qui a piloté un groupe interministériel sur le sujet, estime aussi que c’est une « priorité […] pour créer de la richesse autrement, en respectant les limites de la planète ».
La bonne nouvelle ? « En moins de cinq ans, le Québec a acquis une position de leader nord-américain dans la transition vers l’économie circulaire », affirme Daniel Normandin, le directeur de l’Institut de l’environnement, du développement durable et de l’économie circulaire. Si, à l’échelle internationale, il n’existe pas de définition consensuelle du concept, celle mise en avant par le Pôle québécois de concertation sur l’économie circulaire inclut notamment la notion de bien-être : c’est « un système de production, d’échange et de consommation visant à optimiser l’utilisation des ressources à toutes les étapes du cycle de vie d’un bien ou d’un service, dans une logique circulaire, tout en réduisant l’empreinte environnementale et en contribuant au bien-être des individus et des collectivités ».
À l’inverse du modèle économique actuel, qui est dit linéaire et qui ne tient pas compte des ressources limitées de la planète, l’économie circulaire consiste schématiquement à allonger la durée de vie des produits et des services que nous consommons ainsi qu’à réduire la quantité des ressources extraites. Ce faisant, les émissions de gaz à effet de serre (GES) diminuent simultanément grâce à la mise en place de boucles locales qui évitent les transports sur de longues distances, à la diminution des besoins en matières premières ou encore à l’optimisation de l’efficacité énergétique.
Écoconception pour améliorer la durabilité de nos objets du quotidien, partage d’équipements professionnels, déchets des uns qui deviennent des matières premières pour d’autres, recyclage d’énergie gaspillée, l’avantage avec l’économie circulaire, c’est qu’elle peut prendre des formes multiples et faire naître des relations d’affaires inusitées et audacieuses. La preuve avec cinq exemples québécois, parmi tant d’autres, qui se distinguent.
1. Du jute au secours des arbres

En 2018, la compagnie sherbrookoise Café Vittoria participe à un atelier de maillage de Synergie Estrie en venant avec ses idées de matières résiduelles à valoriser. Le torréfacteur de la marque William Spartivento annonce notamment qu’il a une importante quantité de sacs de jutes disponibles, dans lesquels il reçoit les grains de café. La pépinière Arborinnov est dans la salle ; elle achète du paillis à longueur d’année pour favoriser la croissance de ses arbres et lutter contre les mauvaises herbes.
La synergie est née aussitôt, se ravit Pascale Roy, chargée de projet en développement de projet chez Café Vittoria : « 100 % de nos sacs de jute de café sont transformés en paillis, et Arborinnov n’a plus besoin d’acheter de paillis de coco, de plastique ou de jute en provenance d’un autre continent. Il les trouve à 18 km de chez lui. » Résultat : 60 tonnes de matières qui ne finissent plus en déchets, 73 tonnes d’équivalent CO2 évités et une économie de près de 60 000 $ par an pour la pépinière.
2. Les Jardiniers du chef recyclent leur terreau

En pleine vague des algues bleues au Québec, les entreprises agricoles et maraîchères ont été obligées de mesurer la teneur en phosphore de leurs terres. Comme beaucoup dans les années 2000-2010, celles de Pierre-André Daignault, à Blainville, en contiennent trop. Le fondateur des Jardiniers du chef ne peut dès lors plus acheter de terreau ni importer de phosphore pour fertiliser sescultures de betteraves, salades, carottes, etc. Il décide alors de mettre au point son propre système de traitement des sols. Après de longues recherches, il découvre le composteur de Brome Compost inc., qu’il couple à une génératrice de vapeur pour pasteuriser sa terre.
En parallèle, le maraîcher plante de la nourriture pour vache, comme du trèfle, qui lui sert de compost pour fertiliser ses terrains. Depuis six ans, au lieu d’être jetée, « c’est toujours la même terre qui tourne », précise-t-il. L’entreprise économise ainsi les frais de traitement des résidus et d’achat de nouveau terreau. Le maraîcher évite aussi les émissions de GES produites par le transport des matières et l’enfouissement des déchets organiques.
3. De la roche en abrasif routier dans le Bas-du-Fleuve
En 2017, le réseau de la Société d’aideau développement des collectivités du Kamouraska entre en contact avec Perlite Canada, une des entreprises qui générait le plus gros volume de matières résiduelles dans la région. Située à Saint-Pacôme, elle produit principalement de la perlite pour l’horticulture, une roche blanche, poreuse et légère, idéale pour alléger et drainer la terre. Lors du processus de transformation, la rocheest chauffée dans un four où elle explose en milliers de cailloux utilisés dans les terreaux d’agriculture. « Sauf qu’il arrive que certaines roches n’explosent pas », indique Alexandre Jolicœur, l’animateur de la symbiose industrielle du Kamouraska.
Jusqu’à tout récemment, ces résidus finissaient à l’enfouissement. Depuis mai dernier, ils sont désormais transformés en abrasif routier par le Groupe Mario Bernier, basé à Saint-Pascal, qui mélange les roches à son sable répandu sur les routes des environs. Les poussières générées lors de l’explosion dans le four de Perlite Canada sont aussi revalorisées. Grâce à leur propriété d’absorption, elles sont utilisées dans les litières animales par les agriculteurs de la région.
Depuis le début de cette synergie, 250 tonnes de matières ont été détournées de l’enfouissement. En 21 semaines, les différents partenaires ont économisé quelque 9000 $ en évitant de rejeter dans l’atmosphère environ 22 tonnes de GES.
4. Des ténébrions nourris aux résidus
Louise Hénault-Éthier avait le goût d’appliquer sur le terrain la recherche qu’elle a menée à l’Université Laval sur l’entotechnologie, autrement dit la « gestion des matières organiques à l’aide d’insectes ». La ferme TriCycle a ainsi vu le jour en 2019. « L’objectif est de nourrir les insectes avec des résidus industriels pour diminuer la pollution due aux productions de céréales — maïs et soya — utilisées d’ordinaire pour leur alimentation. » Au menu de ces bibites (des ténébrions) : rognures de champignons de l’entreprise Blanc de gris, drêche de brasseries et restants des jus Loop, eux-mêmes fabriqués à partir de fruits et de légumes imparfaits. La biologiste essaie régulièrement de « nouvelles recettes de résidus pour avoir le même rendement que la moulée de céréales. On accompagne maintenant d’autres éleveurs d’insectes pour faire des tests ».
5. La seconde vie du matériel scolaire en Gaspésie
Du matériel de bureau au rebut aux quatre coins du Québec qui trouve une seconde vie en devenant du matériel scolaire dans le Bas-Saint-Laurent. C’est le tour de force réalisé par la d’économie circulaire de la Capitale-Nationale et Synergie Matanie, qui ont mis en contact Desjardins et l’École Logique de Matane en 2017. Depuis, les étudiants en formation de l’école réceptionnent et remet à neuf le matériel collecté par les caisses (stylos, papier, ordinateurs) pour le redistribuer ensuite aux élèves de La Matanie dans le besoin. Sept tonnes de matériel ont ainsi été détournées de l’enfouissement, près de 100 000 $ ont été économisés et 22 tonnes de GES ont été évitées. Ce projet lutte contre le gaspillage, aide des familles et permet de former de jeunes travailleurs. Qui dit mieux ?
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