Analyse: le marché de l’emploi prend de l’âge

Le vieillissement de la population domine la reprise de l’emploi au Québec depuis la récession de 2008-2009. Les 55 ans et plus sont toujours plus nombreux sur un marché de l’emploi qui laisse également une place plus grande aux immigrants, dans un contexte de rareté de main-d’oeuvre.
L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a publié mercredi le bilan 2019 de l’État du marché du travail au Québec qui vient braquer les projecteurs sur le vieillissement de la population, une réalité démographique plutôt ressentie ici. Depuis la récession de 2008-2009, l’économie québécoise compte 485 700 emplois de plus, quelque 80 % desquels étant des emplois à temps plein. Il s’agit d’une croissance de 12,6 % sur dix ans qui se veut toutefois inférieure à la moyenne canadienne de 13,9 % et à celle de 15,9 % mesurée en Ontario.
On peut cependant mettre ce différentiel dans la perspective d’une récession 2008-2009 ressentie plus durement en Ontario en raison notamment du poids de son secteur automobile et de sa sensibilité plus grande à la sévère contraction économique enregistrée aux États-Unis. Selon les calculs de l’économiste Jean-Pierre Aubry, fellow associé au CIRANO, l’emploi s’est replié de 1,6 % au Québec lors de la Grande Récession, contre 1,9 % en Ontario, avec une contraction du PIB de 1,3 % contre 4 %.
55 ans et plus
Cette parenthèse étant, la lecture par groupes d’âge de l’ISQ fait ressortir une présence accrue des 55 ans et plus sur le marché de l’emploi. « Ce constat reflète le vieillissement de la main-d’oeuvre, mais aussi la participation plus forte de ce groupe sur le marché du travail », souligne l’Institut. L’an dernier, la part des 55 ans et plus dans l’emploi était plus élevée que celle des jeunes de 15 à 24 ans, soit 21,3 % contre 13,2 %, alors qu’en 2009, ce poids était respectivement de 15,4 % et de 14,4 %.
Même constat au sein de la population active, qui s’est accrue de 355 400 entre 2009 et 2019. Les 55 ans et plus dominent avec une progression de 330 700, suivis des 25-54 ans (+55 800), alors qu’un repli de 31 100 est observé chez les 15-24 ans. De fait, la part des personnes de 55 ans et plus dans la population active est passée de 15,3 % à 21,3 % au cours de cette période alors qu’elle a diminué de 1,9 point chez les 15 à 24 ans, peut-on lire dans l’analyse.
Contribution des immigrants
À ce changement de la configuration démographique du marché du travail québécois se greffe une contribution accrue des immigrants. Entre 2009 et 2019, l’emploi chez ces derniers a crû de 300 500, ou de 67 %, contre une augmentation de 133 200, ou de 3,9 %, chez les personnes nées au Canada. Les immigrants admis accaparent 62 % de la progression nette de l’emploi au Québec entre 2009 et 2019, leur poids dans l’emploi total passant de 11,6 % à 17,3 %. Un phénomène amplifié par un taux d’activité qui a augmenté de 6,3 points de pourcentage chez les immigrants sur la décennie, et qui a reculé de 1,6 point chez les natifs. Cette dynamique s’inscrit dans un contexte de rareté de main-d’oeuvre, le nombre de postes vacants ayant doublé depuis 2015 pour se chiffrer à environ 131 000, en moyenne, au cours des neuf premiers mois de 2019.
Poussée des salaires
Tout cela a notamment pour corollaire une poussée des salaires plus rapide que l’inflation, qui s’est accélérée l’an dernier. Toujours selon l’ISQ, la rémunération horaire moyenne des employés québécois a bondi de 4,8 % en 2019, soit plus du double de l’augmentation de 1,9 % mesurée en 2018, pour atteindre la plus forte hausse annuelle de la décennie. « Au cours de la période 2009-2019, le salaire horaire moyen a crû de 28,5 %, alors que la croissance de l’indice des prix à la consommation a été de 16 % », a mis en exergue l’ISQ.
L’Institut propose également une comparaison hommes-femmes. En 2019, les employés québécois ont reçu, en moyenne, une rémunération horaire de 26,65 $. Elle était de 28,06 $ chez les hommes, de 25,19 $ chez les femmes. « Depuis 2009, le salaire horaire moyen des femmes enregistre une progression de 30,5 %, comparativement à 26,6 % à celui des hommes. […] Le ratio de la rémunération horaire moyenne des travailleuses par rapport à celui des travailleurs est passé de 87,1 % en 2009 à 89,8 % en 2019. » La part des femmes dans l’emploi est par ailleurs demeurée stable sur la décennie, à 48 %.
Le tout peut s’inscrire dans la perspective où derrière un accroissement de 328 600 emplois dans le secteur privé et de 155 900 dans le public se profile une augmentation de la part du secteur public dans l’emploi total, passant de 20,7 % en 2009 à 22 % en 2019, alors que la croissance des travailleurs autonomes a diminué, passant de 14,7 % à 13,1 %. Celle du secteur privé a peu changé (64,6 % contre 64,9 %).