L’innovation au secours du climat

On sous-estime la puissance de l’innovation dans la lutte contre les bouleversements climatiques, mais aussi ses limites et les obstacles qui risquent de se dresser sur son chemin.
L’ampleur du montant en a sans doute fait sursauter certains, et pas seulement en Alberta. Des experts ont estimé qu’il faudrait graduellement porter la taxe carbone de 20 $ à 210 $ en 2030 pour que le Canada puisse atteindre ses cibles de réductions de gaz à effet de serre (GES) pour cette date. « Et il va falloir beaucoup plus d’efforts pour devenir carboneutre en 2050 », a ajouté le président de la Commission de l’écofiscalité, Chris Ragan, en conférence de presse mardi. Les économistes de la Commission ont toutefois précisé que cette estimation se voulait surtout une façon de comparer le coût et l’efficacité de la tarification du carbone avec d’autres moyens d’action, comme la réglementation et les subventions, mais que le montant de la taxe réellement requis serait probablement inférieur étant donné que leur modèle de simulation ne permettait pas de tenir compte de l’innovation.
Le mot était lâché. Les sociétés modernes, et particulièrement celles qui ont adopté les principes du capitalisme, ont une foi presque illimitée dans leur capacité de se réinventer grâce aux progrès de la technologie. Cela pourrait même être l’une des raisons de leur procrastination face à la montée du péril climatique.
La tarification du carbone apparaît toute désignée pour stimuler cette remarquable faculté, expliquaient nos experts cette semaine. Le signal de prix clair et à long terme qu’elle envoie aux consommateurs, aux entreprises, aux investisseurs et aux innovateurs agit, en effet, comme une « incitation générale à trouver des façons nouvelles et avantageuses de réduire les émissions de GES ».
Énergies vertes
Une étude citée ce printemps par les chercheurs du Fonds monétaire international (FMI), et se basant sur les conséquences qu’avaient eues les chocs pétroliers des années 1970, a conclu que la tarification du carbone pourrait être presque 20 % moins élevée qu’on le croit généralement en raison de l’effet à la hausse qu’elle aura sur l’innovation dans les énergies vertes et à la baisse sur l’innovation dans les énergies fossiles.
Déjà, les énergies solaire et éolienne coûtent souvent moins cher que celle qui serait produite par une nouvelle centrale fonctionnant aux énergies fossiles. Plusieurs analyses prédisent aussi que le coût d’achat initial des véhicules électriques atteindra la parité avec celui des voitures à essence au cours des cinq prochaines années, rapporte la Commission sur l’écofiscalité.
Le signal des prix envoyé par une tarification du carbone ne sera toutefois probablement pas suffisant pour convaincre toutes les entreprises à surmonter leur propension à laisser les autres déployer les efforts nécessaires en matière de recherche et développement, notait la Commission dans un autre rapport en 2016. Comme pour l’informatique, l’Internet ou encore la robotique, elles auront besoin du coup de pouce des gouvernements, pas seulement pour financer la recherche fondamentale et le développement d’applications commerciales, mais aussi pour aider leur diffusion, comme ils le font, par exemple, en subventionnant les véhicules électriques.
Le plus dur à faire (et le plus cher) dans la transition climatique est de lancer la machine de l’innovation, notait un expert cette semaine dans une publication du FMI consacrée à l’économie du climat. Comme pour la révolution numérique, ses coûts iront probablement en diminuant avec le temps et avec l’apparition de champions dans le secteur, le développement de réseaux de chercheurs et de fournisseurs et un processus normal de familiarisation.
Une transition complexe
On aurait tort de sous-estimer l’ampleur et la complexité de la transition énergétique dont il est question, prévenait néanmoins un rapport du Forum économique mondial l’hiver dernier. S’il est vrai que les technologies existantes permettraient déjà de faire un bon bout de chemin, il manque encore plusieurs des « ruptures technologiques » qui seraient nécessaires, seulement 4 des 38 principaux domaines technologiques concernés présentant le potentiel requis, selon l’Agence internationale de l’énergie.
Or, de telles innovations radicales requièrent non seulement de l’argent, mais aussi du temps qui commence à manquer. Elles émanent généralement d’un écosystème industriel, financier et gouvernemental qui, dans ce cas, reste encore largement à construire.
Ces innovations se heurtent aussi à de nombreux obstacles et à de puissantes forces d’inertie, disait l’étude du Forum de Davos. En effet, elles seraient censées se produire dans des secteurs où les technologies et les choix du passé durent longtemps (centrales électriques, autoroutes, forme des villes…). Non seulement ne peuvent-elles pas encore compter sur toute l’aide espérée des gouvernements, mais elles devront aussi faire leur place dans un monde où la plupart des lois et des normes techniques n’ont pas été pensées pour elles. Un monde où les normes sociales et la culture populaire sont aussi profondément empreintes des anciennes façons de faire et qu’on voudrait qu’elles viennent bouleverser.