Les grands défis de la quincaillerie

L’enseigne Rona compte des centaines de magasins qui lui appartiennent en propre, mais il y a également de nombreux marchands-propriétaires affiliés pour lesquels Rona est un fournisseur.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir L’enseigne Rona compte des centaines de magasins qui lui appartiennent en propre, mais il y a également de nombreux marchands-propriétaires affiliés pour lesquels Rona est un fournisseur.

Lowe’s a annoncé cette semaine une deuxième vague de fermetures au sein de Rona, achetée en 2016. Survol d’une industrie en pleine mutation.

1. La bonne taille. L’effritement de l’empire Rona qui s’est poursuivi cette semaine met en lumière un autre phénomène : l’émergence de chaînes de quincailleries de taille moyenne, concentrées dans une ou quelques régions. Elles s’appellent Patrick Morin, Pont-Masson, etc.

En deux ans, la chaîne Canac, par exemple, a poursuivi son expansion à un rythme tel que son effectif est passé de 3000 à près de 4000 personnes. Son réseau compte 29 succursales, dont une quinzaine dans le secteur de Québec et en Beauce. Son secret ? « Le prix et la formation des employés », répond en entrevue son président, Jean Laberge. Cette formation se traduit par un service supérieur et plus personnalisé, selon lui.

Les nouveaux magasins ont une surface de vente de 26 000 ou 27 000 pieds carrés [de 2400 à 2500 mètres carrés], ajoute M. Laberge. La compagnie « n’ira pas au-delà de ça », car elle a trouvé sa niche. « La niche des 100 000 pieds, c’est pas la nôtre. » Une chaîne qui exploite des magasins de différentes tailles fait face à un casse-tête. « Quand vous avez des magasins de 100 000 pieds carrés, que vous voulez faire de la publicité, mais que vous avez aussi des 8000 ou des 12 000 pieds carrés, ça revire tout à l’envers. Si vous annoncez des produits mais qu’ils ne se retrouvent pas en magasin, ça ne va pas bien. »

Le modèle du groupe Patrick Morin, fondé en 1960, a entraîné quelque chose « qui va se multiplier comme des petits pains chauds », dit Richard Darveau, président de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT). « Il y a dix ans, il y avait 1000 quincailleries et 1000 propriétaires. » Aujourd’hui, il y a peut-être 900 magasins, mais 250 créatures juridiques. « Le modèle, c’est d’avoir deux, trois, quatre, cinq magasins dans une même région ou dans les alentours. »

« La quincaillerie de quartier a encore sa place », soutient Joanne Labrecque, professeure au Département de marketing de HEC Montréal. « On a besoin de conseils en personne. Mais ça prend une offre qui est ciblée et différenciée. »

2. La fibre québécoise. Rona fait partie intégrante de la fibre commerciale québécoise, rappelle Joanne Labrecque, qui enseigne le marketing à HEC Montréal. « On peut comparer Rona à Provigo. On parle du Québec inc., en ce sens que ça s’est développé graduellement, ça faisait partie du quotidien du contexte québécois. » À la base, il s’agit d’un commerce de proximité au même titre qu’une épicerie, dit-elle.

« Du jour au lendemain, si vous voulez changer cet aspect-là… C’est certain qu’il y a eu une réaction des [marchands indépendants] affiliés. Et je pense par exemple aux gens de Saint-Lambert, qui voient la fermeture d’un Rona qui fait partie de leur histoire commerciale. Si on installe un autre quincaillier, comment la clientèle va-t-elle réagir ? »

La quincaillerie de quartier a encore sa place. On a besoin de conseils en personne. Mais ça prend une offre qui est ciblée et différenciée.

L’enseigne Rona compte des centaines de magasins qui lui appartiennent en propre, mais il y a également de nombreux marchands-propriétaires affiliés pour lesquels Rona est un fournisseur. Depuis le rachat par le géant américain Lowe’s, a écrit Le Journal de Montréal en septembre, une douzaine auraient choisi de rompre avec Rona pour aller du côté de BMR, qui appartient à La Coop fédérée.

« Il va sûrement y avoir plusieurs marchands qui vont faire le changement cette année », estime Sophie Moisan, copropriétaire de Paulin Moisan BMR, à Saint-Raymond, dans la MRC de Portneuf. Elle a pris cette décision en 2017. De l’avis de Mme Moisan, « c’est important que l’approvisionnement reste le plus possible québécois ».

3. L’expérience client. Le chez-soi est un espace d’importance primaire, dit le président de l’AQMAT, Richard Darveau. D’où l’importance d’une expérience client qui soit à la hauteur des objectifs de sécurité et de confort de toute personne qui franchit les portes d’un magasin.

Certains secteurs ont déployé des stratégies pour resserrer les liens avec le client. Par exemple, un magasin de tissu qui donne des cours de broderie aux adolescents, dit-il, ou la boutique de sport qui permet l’expérience du produit. « Le secteur de la quincaillerie se prête à ça. C’est concret. Si vous voulez une perceuse, pourquoi n’y a-t-il pas une planche avec dix perceuses ? » Trop souvent, dit-il, l’expérience peut finir par se résumer à des produits disposés sur des tablettes.

« Entre la préparation du client en matière technique, de design, de tendances, et la capacité de faire face à ce besoin-là dans un magasin réel, il y a un fossé qui s’est élargi énormément au cours des dernières années », ajoute M. Darveau. À travers ça, il y a les enjeux de personnel, car le secteur de la quincaillerie doit lui aussi gérer une rareté de main-d’oeuvre.

Le milieu se trouve donc en transition. En matière de valeur ajoutée, Rona offre depuis plusieurs années un service d’installation avec une garantie d’un an sur la main-d’oeuvre. Mais lorsque la chaîne BMR a dévoilé son concept « La Shop » (quincailleries en milieu urbain), en 2018, elle a mentionné que les clients pourront payer pour les services d’un « homme à tout faire à domicile », mais aussi emprunter gratuitement des outils pour un bloc de quatre heures s’ils effectuent leurs travaux avec des produits achetés en magasin (minimum de 75 $)…

4. Achat local. Comme d’autres créneaux du commerce de détail, le secteur de la quincaillerie s’est officiellement joint au mouvement qui permet de bien établir la provenance des produits vendus et de les mettre en valeur. Il y a quelques jours, l’organisme à but non lucratif « Bien fait ici » soufflait donc sa première bougie.

« Il faut qu’en magasin, les gens sachent ce qu’ils achètent », dit Richard Darveau, président de l’AQMAT. « Il y a un étiquetage très clair dans le secteur alimentaire, dans l’automobile, en pharmaceutique… »

Outre M. Darveau, le conseil d’administration compte des représentants de marchands et de fournisseurs, mais aussi plusieurs grandes enseignes de même que l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ).

L’objectif consiste entre autres à « renforcer la chaîne de valeurs entre les fabricants, les bannières et leurs réseaux de quincailleries et de centres de rénovation pour mieux servir les consommateurs et les entrepreneurs », indique son site Internet.

Cette initiative est survenue dans la foulée du Plan de développement du secteur de la quincaillerie et des produits de rénovation. Dévoilé il y a quelques années par la ministre de l’Économie de l’époque, Dominique Anglade, le Plan visait principalement à épauler les compagnies québécoises qui conçoivent ou fabriquent des produits à gagner de nouveaux marchés.

« Le Québec accuse un retard dans la maîtrise des nouvelles technologies, l’automatisation des usines et la prise de commande en ligne, entre autres », indiquait le document. Un état des lieux qui, au final « mine sa compétitivité ».



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