Analyse: le Brexit et les politiques d’austérité sont intimement liés

Ce sont les politiques d’austérité budgétaires des conservateurs qui auraient fait basculer le vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni. Sa sortie de l’Europe sans entente replongerait le pays en récession et, par le fait même, son gouvernement dans les déficits. Quand on parle de cercle vicieux…
Le nouveau ministre des Finances du nouveau premier ministre britannique, Boris Johnson, a promis, mercredi, de mettre un terme à « l’ère de l’austérité » instaurée par son propre Parti conservateur, au lendemain de la Grande Récession, et maintenue depuis près de 10 ans. Disant disposer désormais d’une marge de manoeuvre budgétaire suffisante, Sajid Javid a notamment promis une hausse des dépenses dans l’enseignement, la police et la santé, ainsi qu’une « révolution des infrastructures » qui amènerait de nouveaux trains à grande vitesse et une meilleure couverture Internet à haut débit partout sur le territoire. Réduit de l’équivalent de 45 % de l’économie britannique à 38 % depuis 2009, l’ensemble des dépenses publiques remonterait ainsi à 38,6 % dès l’exercice 2020-2021, grâce au changement de cap des conservateurs.
Les opposants de Boris Johnson ont eu tôt fait de qualifier l’annonce du chancelier de l’Échiquier de vulgaire « manoeuvre électoraliste », alors que tous les partis se préparent à une dissolution de la Chambre des communes quelque part cet automne. Ses promesses apparaissent d’autant moins sincères que le gouvernement conservateur dispose aujourd’hui de moins de marge de manoeuvre financière, alors que le produit intérieur brut (PIB) du pays s’est contracté au dernier trimestre (–0,2 %) et que les bouleversements liés au Brexit font planer la menace d’une récession.
Mais c’est en repensant au rôle joué par les politiques d’austérité conservatrices dans le vote sur le Brexit et à l’impact que pourrait, en retour, avoir ce dernier sur les finances publiques qu’on est véritablement pris de tournis.
L’appui au Brexit
C’est que, selon les recherches d’un professeur d’économie de l’Université de Warwick, en Angleterre, ce sont justement les politiques d’austérité qui ont fait gagner le Brexit lors du référendum de 2016. Thiemo Fetzer a analysé en détail la composition socioéconomique ainsi que le vote de chacune des circonscriptions électorales britanniques. Comme d’autres chercheurs avant lui, il a constaté que l’appui au Brexit est particulièrement venu des zones où l’économie se portait mal, où les revenus, les niveaux d’éducation et de satisfaction dans la vie étaient faibles et où la population se faisait vieillissante.
Or, ces populations marginalisées ont été les premières frappées non seulement par la Grande Récession, mais aussi par les politiques d’austérité conservatrices qui ont suivi, a expliqué notre économiste dans différentes publications, notamment au Center for Economic Policy Research et dans la Harvard Business Review. Si à l’échelle nationale les dépenses par personne dans les programmes sociaux ont été réduites en moyenne de près du quart (–23,4 %) entre 2010 et 2015, ces coupes ont fait nettement moins mal là où la proportion de bénéficiaires était plus faible (–6,2 %) qu’au sein des populations fortement dépendantes du filet social (–46,3 %).
Cela n’a pas seulement eu, sur ces populations, des répercussions économiques majeures. Cela a aussi plombé leur confiance dans leurs gouvernements et leurs élus des partis traditionnels et est venu renforcer une hostilité déjà présente envers le commerce international, l’immigration et les nouvelles technologies. Mais à elles seules, les politiques d’austérité ont ajouté de 3,5 à 11,9 points de pourcentage à l’appui national au parti populiste de droite antieuropéen UKIP, estime Thiemo Fetzer, alors que le vote pour le Brexit a été remporté par une marge de 3,8 points.
Déjà vu
Les électeurs britanniques qui ont fait les frais des politiques d’austérité et qui ont voté pour le Brexit dans l’espoir d’améliorer leur sort risquent fort, toutefois, d’être déçus. Non seulement l’affaire est loin de se régler aussi facilement qu’on le leur avait promis durant le référendum, mais ils pourraient bien se retrouver à jouer encore une fois dans un film d’horreur qu’ils connaissent par coeur.
Dans une mise à jour d’estimations qu’il avait faites en novembre l’an dernier, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, a expliqué mercredi que plus le Brexit met du temps à se réaliser, plus les entreprises et les gouvernements ont la chance de s’y préparer et de réduire l’ampleur du choc éventuel. Ainsi, plutôt qu’un recul de 8 % du PIB britannique avant que les choses ne commencent à s’améliorer, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada ne prédit plus qu’une baisse de 5,5 %, et plutôt qu’un taux de chômage qui grimperait de 3,8 % à 7,5 %, il parle maintenant d’un taux de 7 %.
Cette récession arriverait quand même au deuxième rang des pires crises économiques de l’après-guerre au pays, tout juste derrière la Grande Récession (–6,3 % du PIB). Et on se rappelle qui en avait le plus fait les frais, cette fois-là, pendant et après.