L’oligarchie fossile cartographiée

Le classement met en relation les émetteurs, les «facilitateurs» et les intervenants se donnant pour mission de défendre ou de légitimer l’usage de ces énergies.
Photo: Jason Franson La Presse canadienne Le classement met en relation les émetteurs, les «facilitateurs» et les intervenants se donnant pour mission de défendre ou de légitimer l’usage de ces énergies.

Le « Fossil-Power Top 50 » est rendu public. Le Corporate Mapping Project (CMP) précise sa cartographie d’une industrie des combustibles fossiles fortement concentrée au Canada, placée sous l’influence d’une poignée de joueurs parmi lesquels les grandes banques canadiennes sont surreprésentées.

Déjà, l’an dernier, Bill Carroll, professeur de sociologie de l’Université de Victoria et coauteur de l’étude, reliait cette pression exercée par le milieu des affaires exhortant le gouvernement Trudeau à acheter et à prendre la maîtrise d’oeuvre de l’expansion du pipeline Trans Mountain à cette centralisation de la propriété. Ces intervenants des industries pétrolière et financière ont appris à maximiser leurs investissements à long terme. Ils veulent obtenir la pleine valeur de leurs principaux investissements. Cette obnubilation laisse peu de place à des incitatifs au changement, conclut l’auteur.

Pour en savoir plus

Consultez le «Fossil-Power Top 50» de l'initiative Corporate Mapping Project (en anglais seulement).

Ainsi, cette « constellation d’intérêts », ou cet intérêt mutuel convergent des intervenants, expliquerait ce peu d’enthousiasme à modifier la trajectoire face aux défis climatiques. Elle vient soutenir une action dans la continuité poussée à la limite du déni afin de sauvegarder la valeur d’investissements pourtant condamnés à devenir des « actifs échoués ».

Selon une analyse faite à partir de l’actionnariat et des revenus, les 25 plus grands propriétaires revendiquent, ensemble, plus de 40 % des revenus totaux de l’industrie des combustibles fossiles au cours des six années étudiées, soit de 2010 à 2015. Les deux plus importants sont Exxon Mobil et la Banque Royale. Autres conclusions dévoilées en octobre dernier, les compagnies canadiennes sous propriété étrangère retiennent 16 % des revenus totaux du « top 50 » dégagés durant l’intervalle, suivies par les grands gestionnaires de fonds d’investissement avec 15 %. Banques et compagnies d’assurances revendiquent une part de marché de 12 %, dépassant les grandes familles aisées, comme les Desmarais, et de riches investisseurs asiatiques, avec 8,5 %. Cette influence peut prendre la forme d’un investissement direct, dans le capital-actions ou au passif. Mais aussi indirect, par une présence ressentie au sein des conseils d’administration.

Démocratie énergétique

 

« Les cinq grandes banques canadiennes jouent un rôle prédominant aux côtés des cinq grands gestionnaires de portefeuilles américains que sont Capital Group, Vanguard, Franklin Resources, Fidelity Management et BlackRock. Ensemble, ces 10 investisseurs institutionnels détiennent 190 participations dans le « top 50 » des compagnies composant l’industrie des combustibles fossiles, comptant pour 43 % des liens de propriété dans l’ensemble du réseau », disait l’étude en octobre dernier. Les auteurs exprimaient alors un souhait de changement, de l’oligarchie fossile vers une démocratie énergétique.

Dans la cartographie rendue publique mercredi, l’influence est décortiquée entre trois grandes familles d’intervenants. Le classement met en relation les émetteurs, soit 21 compagnies de l’Ouest canadien affichant la plus grande empreinte GES (de l’extraction à la transformation, au transport et à l’utilisation finale des combustibles fossiles), les « facilitateurs », soit les institutions financières et les autorités de réglementation dédiées, et les intervenants se donnant pour mission de défendre ou de légitimer l’usage de ces énergies. Et de convaincre de la non-faisabilité ou de l’inutilité d’éliminer la dépendance à ces énergies. CMP mentionne notamment les regroupements d’industries, comme l’Association canadienne des producteurs pétroliers, et les groupes de réflexion du type Fraser Institute et CD Howe.

On propose une image décortiquée d’un réseau aux mailles tricotées serré où prédominent les intérêts économiques des grandes pétrolières et institutions financières priorisant l’expansion de la production pétrolière et gazière, résume Bill Caroll.

CMP est un projet mené en partenariat avec LittleSis.org et ses bases de données, conjointement par l’Université de Victoria, les branches de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan du Centre canadien de politiques alternatives et Parkland Institute de l’Université d’Alberta. La recherche a reçu un appui financier du Conseil de recherches en sciences humaines du gouvernement canadien.



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