Le Canada apparaît incohérent en matière commerciale

La logique de la position canadienne est parfois difficile à suivre à travers ses différents accords commerciaux conclus récemment, observent des experts.
Le professeur et codirecteur du Centre de droit international et transnational à l’Université Laval Charles-Emmanuel Côté y voit un cas flagrant « d’incohérence de la politique canadienne ». Son confrère professeur et directeur de recherche du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) à l’Université du Québec à Montréal Christian Deblock est plus direct encore et parle d’un « Canada invertébré ». Dans les deux cas, on essaie de comprendre comment les négociateurs canadiens ont pu accepter, sur les mêmes questions, des dispositions aussi éloignées les unes des autres dans le cadre de leurs trois dernières négociations commerciales ayant mené à l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne, au Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et, dernièrement, au nouvel Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).
Invité, la semaine dernière, à une conférence du CEIM où des experts passaient chacun en revue un élément particulier de l’ACEUM, Charles-Emmanuel Côté s’est penché sur la fameuse disposition permettant aux entreprises privées de poursuivre les gouvernements devant un tribunal spécial si elles se sentent injustement traitées. Présente dans tous les traités de libre-échange signés par le Canada depuis l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), cette disposition a été reproduite presque à l’identique dans le PTPGP, alors que c’est une version considérablement remodelée — avec un meilleur encadrement, une professionnalisation des juges et l’ajout d’un tribunal international d’appel — qui a été retenue pour l’AECG, et que la disposition a été purement et simplement abandonnée par le Canada dans l’ACEUM.
Les obstacles au commerce, que représentent les différences de normes, de lois et de règlements entre les économies, constituaient un autre enjeu important des trois dernières négociations auxquelles a participé le Canada, rappelle Christian Deblock. Or, si le Canada a convenu, avec l’Europe, d’une approche basée sur la coopération et le dialogue visant une reconnaissance mutuelle des normes, rappelant l’importance des politiques publiques et mettant à contribution un forum de la société civile, il s’est engagé, avec ses partenaires nord-américains, dans un processus beaucoup plus étroit où prime l’opinion des experts et des entreprises, où chaque pays s’engage à soumettre aux deux autres tout projet de nouvelle règle et où les désaccords risquent de se retrouver rapidement devant un tribunal spécial. Le Partenariat transpacifique, quant à lui, se situe quelque part entre ces deux voies très éloignées l’une de l’autre.
Là où souffle le vent
Des gens diront qu’une partie de ces incohérences de la politique commerciale canadienne découle du poids énorme des États-Unis et de l’extrême difficulté de s’entendre avec leur président actuel, note Charles-Emmanuel Côté. Mais d’autres pays, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ont aussi eu à négocier avec des partenaires intimidants sans pour autant conclure des ententes commerciales qui allaient dans toutes les directions, fait observer le juriste. « Il est vrai qu’il n’est pas facile d’être le Canada dans ce genre de situation. » Mais, lors de ses trois dernières négociations, « il a quand même eu l’air d’un pays invertébré qui allait là où on le pousse ».
Entré temporairement en vigueur il y a plus d’un an, l’AECG doit encore être ratifié par 38 parlements nationaux, chambres hautes et parlements régionaux dans les 28 pays membres de l’Union européenne et fait notamment face à une forte résistance au mécanisme permettant aux investisseurs de poursuivre les États. Pour sa part, le Partenariat transpacifique vient tout juste d’entrer en vigueur pour le Canada et six autres de ses onze pays signataires, dont le Japon, l’Australie, le Mexique et le Vietnam. Quant à l’ACEUM, il est étudié pour ratification dans les trois parlements nationaux. Le Canada et le Mexique semblent vouloir attendre que les États-Unis s’engagent les premiers, ou du moins que Donald Trump lève ses tarifs douaniers dans l’acier et l’aluminium, avant d’apposer leurs sceaux à leur tour. Or, l’interruption partielle de services gouvernementaux (shutdown) et d’autres enjeux politiques ont considérablement retardé l’étude de l’entente par le Congrès, où des critiques ont été entendues notamment dans le camp démocrate.