À Davos, Greta Thunberg éclipse patrons et présidents

La jeune Suédoise Greta Thunberg mène depuis août dernier une «grève» du climat, séchant les cours tous les vendredis pour aller protester devant le parlement suédois.
Photo: Fabrice Coffrini Agence France-Presse La jeune Suédoise Greta Thunberg mène depuis août dernier une «grève» du climat, séchant les cours tous les vendredis pour aller protester devant le parlement suédois.

Ni un chef d’État tonitruant ni un millionnaire flamboyant ou un patron innovant : la vraie vedette de l’édition 2019 du Forum de Davos a 16 ans, deux longues nattes et une détermination à sauver la planète qui a impressionné l’élite mondiale.

« Elle a réduit tout le monde au silence… Cette jeune fille était extrêmement émouvante », dit à l’AFP le patron du site de voyages en ligne Expedia, Mark Okerstrom, après l’intervention devant une salle comble de la Suédoise Greta Thunberg. Dès son arrivée à la gare de la station de ski huppée mercredi, après 32 heures de voyage, les caméras se sont massées pour suivre cette adolescente menue aux joues rondes, icône de la lutte contre le changement climatique pour de nombreux jeunes dans le monde.

« La maison brûle », assène-t-elle pendant son discours. « Les adultes disent qu’il faut donner de l’espoir aux jeunes », continue Greta Thunberg, sourcils froncés en triturant ses fiches. Et de lancer : « Je ne veux pas de votre espoir, mais je veux que vous commenciez à paniquer. »

La jeune Suédoise mène depuis août dernier une « grève » du climat, séchant les cours tous les vendredis pour aller protester devant le parlement suédois. Mais le monde entier l’a véritablement découverte lors de son discours le mois dernier en Pologne, lors de la conférence internationale sur le climat. Et désormais, des dizaines de milliers de jeunes répliquent sa grève des cours dans le monde entier.

Vendredi à Davos, bien emmitouflée, elle rejoint une poignée d’autres jeunes pour un sit-in dans la neige durcie, à la porte du centre de congrès où se sont succédé depuis mardi les chefs d’État ou de gouvernement, les patrons, les millionnaires et les militants. « Je sèche les cours », explique Maximilian Christian, 15 ans, venu de la ville voisine de Coire. « L’exemple de Greta m’a inspiré et voilà que je suis assis à côté d’elle. »

Venue en train là où de nombreux participants du Forum économique mondial préfèrent les jets, Greta a choisi de camper dans la montagne, dans une installation éphémère appelée le Arctic Basecamp, plutôt que de résider dans un hôtel cossu dont la ville regorge. « J’ai arrêté de prendre l’avion à cause de l’environnement », a-t-elle expliqué à l’AFP lors d’une entrevue. Expliquant qu’elle a convaincu ses parents de faire de même et, comme elle, de devenir végétaliens. « Je veux mettre en pratique ce que je dis. »

« Dans des endroits comme Davos, les gens aiment raconter leurs succès, mais leur réussite financière a un coût exorbitant », a déclaré Greta Thunberg.

La jeune Suédoise, qui a dit publiquement avoir le syndrome d’Asperger, a expliqué aux journalistes qu’elle « n’aimait pas parler aux gens ». « Je ne parle que lorsqu’il faut le faire. » Mais cette réserve ne l’a pas empêchée de conquérir le public de Davos, partageant la scène avec une star telle que Bono par exemple.

« C’est une voix très puissante, dit à l’AFP Christiana Figueres, ex-experte onusienne du climat. C’est la voix de la jeunesse et la voix de la colère. »

Les débats de la semaine

 

Outre « La maison brûle » de Greta, des inégalités « hors de contrôle » et un « jour important pour le Venezuela » : les débats qui ont marqué l’édition 2019 du Forum économique mondial de Davos.

« Le changement climatique court plus vite que nous, nous sommes en train de perdre la course et ce pourrait être une tragédie pour la planète. » — Antonio Gutierres, le secrétaire général de l’ONU, n’a pas non plus mâché ses mots.

« Je pense que les gens commencent à réaliser qu’on ne peut pas faire des affaires sur une planète morte. Je quitte Davos avec plus d’espoir qu’à mon arrivée. » — Christina Figueres, fondatrice de l’organisation non gouvernementale Global Optimism.

« Une récession mondiale n’est pas au coin de la rue, mais le risque d’un recul plus prononcé de la croissance mondiale a augmenté. » — La directrice générale du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, a jeté un froid en évoquant les risques économiques du bras de fer commercial entre la Chine et les États-Unis et du Brexit.

6,6 % de croissance pour 2018, « c’est un chiffre qui reste plutôt significatif. Pas bas du tout ». — Le vice-président chinois, Wang Qishan, a voulu rassurer sur la robustesse de la deuxième économie mondiale, qui a affiché l’an dernier son rythme le plus faible depuis presque 30 ans.

« C’est un jour important pour le Venezuela. » — La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a annoncé mercredi soir, de concert avec les dirigeants brésilien, colombien et péruvien présents à Davos, leur décision de reconnaître la légitimité de Juan Guaido, responsable de l’opposition vénézuélienne, autoproclamé « président » par intérim.

« La gauche ne s’imposera pas dans la région […] Nous ne voulons pas d’une Amérique latine bolivarienne » — avait dit la veille le président d’extrême droite brésilien, Jair Bolsonaro, venu vanter à Davos un « nouveau Brésil ».

« Quand des institutions comme le Forum économique mondial se taisent, elles deviennent complices. » — Kumi Naidoo, le patron d’Amnesty International, outré par la présence à Davos d’une importante délégation saoudienne, sans le moindre rappel de l’assassinat en octobre du journaliste Jamal Khashoggi.

« Les inégalités extrêmes sont hors de contrôle. » — Winnie Byanyima, la directrice de l’ONG Oxfam, qui a calculé que 26 personnes disposent désormais d’autant d’argent que les 3,8 milliards de personnes les plus pauvres de la planète.

« Le capitalisme n’est pas immoral, il est amoral. Le capitalisme a sorti plus de gens de la pauvreté qu’aucun autre “isme”, mais c’est une bête sauvage qui, si elle n’est pas domptée, peut dévorer de nombreuses personnes en route. » — Bono, le chanteur de U2 et cofondateur de la campagne One.

« Quel joli titre : “Kerry remplace Pompeo !” » — John Kerry, l’ancien chef de la diplomatie américaine, a ironisé sur l’absence à Davos de l’actuel secrétaire d’État, Mike Pompeo, cloué au sol à Washington comme le président, Donald Trump, par la paralysie administrative.

« À Davos, c’est comme si l’on rangeait les chaises longues sur le pont du Titanic pendant que l’humanité coule. » — Le secrétaire général d’Amnesty International, Kumi Naidoo, s’est fait l’écho des doutes sur la raison d’être du Forum.

« On peut critiquer le Forum et le côté réunion des riches, la réalité, c’est que cela vous permet de voir en deux jours le président afghan, le chancelier autrichien, le président de la Serbie, d’échanger avec la chancelière Angela Merkel et d’être aussi efficace qu’en parcourant la planète pendant six mois », a quant à lui jugé un haut responsable européen.

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