Heures travaillées: le retard du Québec n’est pas ce qu’il paraît

Selon une étude, la semaine moyenne de travail au Québec comptait 35,1 heures en 2017. 
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Selon une étude, la semaine moyenne de travail au Québec comptait 35,1 heures en 2017. 

Les Québécois ont généralement des semaines de travail moins longues que dans le reste du Canada, mais surtout qu’aux États-Unis, rapporte l’Institut de la statistique du Québec. Le véritable manque à gagner économique est toutefois moins grand qu’il n’y paraît parce qu’ils sont aussi proportionnellement plus nombreux à travailler, grâce, notamment, à leur réseau public de garderies.

La semaine moyenne de travail comptait 35,1 heures au Québec en 2017, constate une étude de l’Institut de la statistique (ISQ) dévoilée mardi. C’était seulement une demi-heure de moins qu’en Colombie-Britannique (35,5 heures), une heure de moins qu’en Ontario (36 heures) et deux heures et demie de moins qu’en Alberta (37,5 heures). Mais surtout, c’était plus de trois heures et demie de moins que la moyenne américaine (38,7 heures), rapporte l’étude de l’ISQ, qui se concentre surtout sur cette comparaison entre le Québec et son immense voisin au sud de ses frontières.

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Affaire de contexte

Cet écart entre le Québec et les États-Unis s’observe chez tous les types de travailleurs, quel que soit le secteur. Il tient à une plus grande proportion de travailleurs américains qui disent faire plus de 41 heures par semaine (25 % contre 20 %) et à plus de Québécois qui travaillent moins de 30 heures (24 % contre 15 %), mais surtout à une forte proportion d’Américains (45 %) qui rapportent exactement 40 heures alors que les semaines de travail au Québec (comme au Canada) sont plutôt de 35 à 40 heures. Cette constatation confortera ceux qui pensent que le Québec accuse un retard économique sur ses voisins nord-américains et qu’une partie de ce retard est attribuable à un déficit d’heures travaillées. Mais ce tableau n’est pas complet, précise l’ISQ.


Ce phénomène, explique son étude, n’est pas le symptôme d’un manque de vaillance des Québécois, mais plutôt le résultat de modes de fonctionnement essentiellement décidés par les employeurs aux États-Unis alors que les employeurs au Québec doivent composer avec un État plus interventionniste et des syndicats plus vigoureux. Les règles américaines, par exemple, ne prévoient aucune période de vacances payées obligatoires, aucun congé de maladie ni aucun congé parental. Quant au taux de syndicalisation, il n’est que de 12 % aux États-Unis, contre 38 % au Québec.

Portrait incomplet

 

Et puis, il n’y a pas que le nombre d’heures travaillées qui compte, souligne l’ISQ. Il y a aussi le nombre de personnes qui travaillent. Or, la proportion de personnes en âge de travailler (15 ans et plus) qui occupent effectivement un emploi (taux d’emploi) est presque systématiquement plus élevée au Québec qu’aux États-Unis, avec une moyenne de 60,9 % contre 60,1 %. Aussi le manque à gagner du Québec, en matière d’heures travaillées par habitant, est-il presque deux fois moins important que les statistiques habituelles le laissent croire.

On assiste même à un renversement complet de situation dans le cas des mères d’enfants d’âge mineur, où ces dernières passent d’un déficit d’heures travaillées de 10 %, et même 20 %, à une (modeste) avance grâce à un taux d’emploi qui frôle 80 %, contre une moyenne de 62 % pour leurs consoeurs américaines. « Ces mères québécoises continuent de travailler moins d’heures que les mères américaines, mais cet écart est complètement compensé par le fait qu’une plus forte proportion d’entre elles est sur le marché du travail », a expliqué dans un entretien téléphonique au Devoir l’auteur de l’étude de l’ISQ, Luc Cloutier-Villeneuve. « Cela tient évidemment beaucoup aux politiques de congés parentaux et au réseau de garderies public dont s’est doté le Québec. »

Un succès à reproduire

Cela illustre non seulement à merveille l’importance déterminante que peuvent avoir les politiques publiques et le mode de fonctionnement du marché en la matière, poursuit Luc Cloutier-Villeneuve, cela montre aussi qu’il peut y avoir plus d’une façon d’atteindre le même objectif économique. « Dans ce cas-ci, on peut penser que, même si les États-Unis et le Québec arrivent sensiblement au même total d’heures travaillées par habitant, les mères québécoises tirent globalement plus de retombées positives en bénéficiant de mesures de conciliation travail-famille que les Américaines, qui doivent choisir entre rester à la maison ou travailler de plus longues heures qu’au Québec. »

L’expert ne sait pas pourquoi les taux d’emploi les plus élevés pour les mères aux États-Unis se retrouvent dans des États centraux, notamment le Minnesota, et les plus faibles dans les États du Sud-Ouest, y compris la Californie. Il note aussi que, contrairement aux États-Unis, la prise en compte du taux d’emploi ne réduit pas l’écart qu’accuse le Québec sur les autres provinces canadiennes.

Il n’ose pas non plus s’avancer lorsqu’on lui demande comment on pourrait reproduire le succès obtenu par le Québec avec le travail des mères, mais cette fois avec d’autres types de travailleurs. Il observe cependant que le taux d’emploi des travailleurs moins scolarisés et des travailleurs de 55 ans et plus accuse un manque à gagner, mais que la situation tient, entre autres, à un retard historique en train de se corriger.

« Je n’ai pas de solution à proposer, dit M. Cloutier-Villeneuve. Je constate seulement que le retard du Québec doit être relativisé et qu’il peut y avoir différentes façons de le rattraper qui n’auront pas toutes les mêmes effets sur la qualité de vie. »

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