La confusion règne dans le fonctionnement des stages

Les employeurs québécois n’ont pas d’objection à rémunérer leurs stagiaires, mais pour les aider, le gouvernement et les institutions d’enseignement pourraient commencer par dresser un portrait plus clair de la situation et mettre de l’ordre dans leurs règles.
Ni l’Institut de la statistique du Québec, qui dissèque chaque année le marché du travail, ni les experts et intervenants interrogés par Le Devoir n’ont pu répondre à cette simple question : combien y a-t-il actuellement de stagiaires en milieu de travail au Québec ? « Il est très difficile de dresser un portrait d’ensemble en raison des différents types de stages, du fait qu’ils sont gérés par toutes sortes d’institutions et d’organismes et qu’ils relèvent de toutes sortes de règles parfois contradictoires, explique le sociologue Éric N. Duhaime de l’Institut de recherche en économie contemporaine, qui vient tout juste de réaliser un grand tour de la question dans un rapport commandé par la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ). Cette confusion m’apparaît plus le résultat d’un grand laisser-aller [des autorités compétentes] que le fruit d’une quelconque volonté d’abuser de cette main-d’oeuvre. »
Le nouveau ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, semble être arrivé au même constat. Assurant « comprendre » l’impatience des principaux intéressés dans cette affaire, il s’est dit « déjà au travail » et d’abord soucieux d’avoir un portrait complet de la situation.
Des dizaines de milliers d’étudiants du cégep et de l’université font grève cette semaine au Québec pour revendiquer la rémunération des stages et leur meilleur encadrement légal en matière de normes et de sécurité au travail. Leur action doit culminer mercredi avec plus de 50 000 grévistes et une grande manifestation.
77% sans salaire
Selon l’une des enquêtes empiriques les plus souvent citées sur le sujet, réalisée par l’Alliance des centres-conseils en emploi (AXTRA), plus des trois quarts (77 %) des jeunes stagiaires n’avaient reçu aucune forme de rémunération en 2016. Le problème, fait valoir le mouvement étudiant, serait particulièrement marqué dans le secteur public et dans des secteurs comme la santé et l’éducation, à forte représentation féminine. Une grande confusion règne également sur le degré de protection de ces emplois, rapportait l’AXTRA, le tiers des stagiaires disant (parfois à tort) disposer d’une assurance en cas d’accident, un tiers disant ne pas en avoir et un dernier tiers disant ne pas savoir.
« Comme n’importe où, il peut y avoir de mauvais employeurs, mais je suis convaincu que la majorité des entreprises sont prêtes à offrir une juste rémunération à leurs stagiaires », dit Yves-Thomas Dorval, p.-d.g. du Conseil du patronat du Québec. Il faut toutefois faire la différence entre un simple stage d’observation et le travail véritablement accompli, précise-t-il, et tenir compte des coûts d’accueil et d’encadrement d’un apprenti en formation.
Cette confusion m’apparaît plus le résultat d’un grand laisser-aller [des autorités compétentes] que le fruit d’une quelconque volonté d’abuser de cette main-d’œuvre
Dans son rapport à la FECQ, Éric N. Duhaime propose qu’on différencie les stages d’observation, servant de simple initiation à une réalité professionnelle ; les stages de formation, visant principalement l’acquisition et la maîtrise de compétences ; et les stages de travail, amenant à consolider et mettre en pratique ces compétences. Si l’on peut admettre que les deux premiers ne commandent pas de rémunération, sinon modeste, il en va autrement du troisième, qui est un véritable travail.
Martine Hébert craint que le gouvernement finisse par vouloir imposer des règles uniformes pour tous. Les trois quarts des entreprises au Québec comptent moins de dix employés et ne disposent pas, par conséquent, des mêmes moyens humains et financiers que les secteurs publics ou les grandes entreprises, rappelle la porte-parole pour le Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). Aussi préfère-t-elle qu’on « laisse libre cours au marché », étant entendu que, dans le présent contexte de rareté de main-d’oeuvre, les PME se démèneront pour offrir les meilleures conditions possibles pour attirer la relève.
La nouvelle réalité
Le professeur de relations industrielles à l’Université de Montréal Jean-Michel Cousineau ne croit pas que le laisser-faire suffira. « Il faudra sans doute convenir au moins de règles minimales, mais je ne suis pas inquiet. On trouvera. On a su régler des problèmes bien plus compliqués que cela. »
Peut-être vus autrefois comme une exception, les stages s’imposeront de plus en plus comme un incontournable moyen d’apprivoisement entre employeurs et employés, de formation et d’intégration au marché du travail, pense la directrice générale d’AXTRA, Véronique Roy. « C’est vrai pour les étudiants, mais pas seulement. Et pas seulement pour les jeunes non plus, mais pour tous les types de candidats à l’emploi. Et tout au cours de la vie », ajoute-t-elle, évoquant le besoin de formation continue avec l’évolution fulgurante des technologies.
Le gouvernement, les entreprises comme les autres acteurs concernés sont désormais conscients de l’importance de mettre de l’ordre dans le monde des stages et sont assez d’accord sur le besoin de trouver des solutions aux problèmes de leur rémunération et de la protection offerte, assure Nicolas Bourgois, coordonnateur du Comité consultatif Jeunes à la Commission des partenaires du marché du travail, où se retrouvent justement tous ces acteurs. « Je m’attends à des développements très prochainement. »